En Grèce, le plus vieux métier du monde vient au secours du ballon rond, touché, comme le reste du pays, par la crise économique. Deux maisons closes ont commencé à commanditer une équipe de soccer amateur qui ne parvenait plus à couvrir ses frais à cause des coupes budgétaires dans la ville de Larissa, dans l'est du pays.

Les joueurs de l'équipe de Voukefalas portent maintenant des maillots roses, sur lesquels figurent les logos «Villa Erotica» et «Soula's House of History», le nom des deux établissements de prostitution qui commanditent désormais l'équipe.

«Malheureusement, le soccer amateur a été abandonné par presque tout le monde», déplore Yiannis Batziolas, le jeune président du club, qui dirige parallèlement une agence de voyage et occupe le poste de gardien de but. «C'est une question de survie», déclare-t-il à propos de ce choix de commanditaire haut en couleur, qui a fait parler de lui dans le pays. Au sein du Voukefalas, certains joueurs sont livreurs de pizza, étudiants, serveurs dans des restaurants ou barmans.

La prostitution, qui est légale en Grèce, est exercée sous le contrôle strict des maisons closes. Et bien que les néons tape-à-l'oeil promouvant les services des courtisanes soient tolérés, le nouveau parrain de l'équipe de soccer a hérissé les poils des habitants de Larissa, une ville du nord-est de la Grèce où le soccer est omniprésent. Les organisateurs de la ligue grecque ont interdit que les joueurs portent les maillots roses pendant les matchs, accusant le contrat passé entre le club et les maisons closes d'être contraire à «l'idéal sportif» et inapproprié pour les partisans de soccer mineurs.

Yannis Batziolas reconnaît que le choix du mécène a commencé par surprendre l'équipe. «Au début, ils n'y croyaient pas, raconte-t-il. Mais quand ils ont vu les nouveaux maillots, ils ont trouvé ça drôle.» La propriétaire d'une des maisons closes, Soula Aleyridou, la nouvelle marraine de l'équipe, a déjà investi plus de 1000 euros (1285 $) pour que les joueurs portent ses couleurs. L'équipe a décidé de faire appel de son interdiction de jouer en ligue. Une décision qui n'inquiète pas cette proxénète de 67 ans, qui dit avoir signé le contrat seulement parce qu'elle adore le soccer.

«Ce n'est pas le genre de métier qui a besoin de publicité», affirmait-t-elle lors d'un match récent, intégralement vêtue de blanc et flanquée de deux jeunes femmes en leggings sombres, avant de préciser: «C'est une question de bouche-à-oreille.»

Son établissement, formé de bungalows couleur pastel décorés somptueusement et où 14 femmes travaillent, a échappé au désastre financier que traverse le reste du pays, et la tenancière reconnaît volontiers le succès de son entreprise. «Si nous n'aidons pas nos scientifiques et nos athlètes, où allons nous?, s'interroge-t-elle. La Grèce possède une population éduquée, cultivée, et de bons athlètes. Il vaut mieux que nous les aidions plutôt que d'envoyer notre argent en Suisse.»

Soula Aleyridou a vu avec déception son équipe perdre le match 1-0, malgré la promesse qu'elle avait faite aux joueurs de leur offrir «un moment spécial» dans son établissement s'ils gagnaient. «Il y a encore du boulot. Nous n'avons pas de milieu de terrain, regrette-t-elle, la voix rauque. Beaucoup de nos garçons ont des boulots qui les obligent à travailler tard la nuit. Et si nous avons un match le matin suivant, ils ne peuvent pas avoir une réelle présence sur le terrain (...) Ils ont besoin d'aide.»

L'équipe n'est pas la seule à souffrir de la crise. Cette année, la Fédération d'athlétisme amateur de Grèce a suspendu toutes ses activités pendant plusieurs semaines pour protester contre les coupes budgétaires. Même les clubs grecs les plus importants ont envoyé la plupart de leurs joueurs à l'étranger cet été pour faire face aux problèmes de financement et à la faible assistance aux matchs, depuis que les supporters ne peuvent plus se permettre d'acheter les billets.

La réduction des subventions gouvernementales a touché la plupart des équipes amateurs de la ligue de Larissa: les clubs aux augustes noms d'Olympus, Hercules, Fearless (sans peur) et Sagittarius, ainsi que celui de Voukefalas, appelé ainsi à cause du mythique cheval de l'empereur Alexandre le Grand, appelé Bucéphale en français.

L'impact de la crise sur le sport est un enjeu majeur en Grèce. La ville de 200 000 habitants possède le seul club professionnel ayant jamais réussi à rompre la domination de la ligue par les grandes métropoles, en remportant le championnat national en 1988. En 2007, le FC Larissa était également passé de la banqueroute à la victoire en raflant la prestigieuse coupe grecque.

Les coupes budgétaires draconiennes ayant laissé les clubs de sport du pays au bord de la faillite, d'autres équipes ont recours à un financement original. L'un a fait affaire avec une entreprise locale de pompes funèbres, d'autres ont sollicité des boutiques de kebab, une entreprise de confiture ou encore à un commerce de feta, le fameux fromage de brebis grec.

Le club de Voukefalas déclare avoir besoin de 10 000 euros (12 850 $) par an pour couvrir ses frais et Soula Aleyridou a promis d'investir davantage d'argent. «C'est ici que tout commence, dans le sport amateur», déclare la proxénète avant de préciser: «Je suis une femme grecque et j'adore mon pays.» La bienfaitrice coiffée d'un chapeau de paille avec un ruban imprimé léopard a regardé son équipe se faire mener avec calme, en fumant une cigarette. «L'équipe va aller mieux, assure-t-elle. J'en suis certaine.»

Au bord de la faillite, Athènes dépend de l'aide internationale pour éponger la crise de sa dette publique depuis mai 2010, et a dû s'engager en contrepartie dans un programme d'austérité draconien. Le pays entame sa sixième année de récession et les coupes budgétaires ont touché la majorité de la population: les retraités doivent couvrir eux-mêmes leurs dépenses médicales, les écoliers n'ont plus de service d'autobus, et les équipes de sport ne trouvent plus de commanditaire et les entreprises ferment les unes après les autres.