Peu surveillés et faciles d’accès, les stationnements réservés aux employés de l’aéroport Montréal-Trudeau sont devenus un véritable « terrain de jeu » pour les voleurs, dénoncent des travailleurs. Aéroports de Montréal (ADM) dit avoir pris plusieurs mesures pour endiguer le fléau, mais déplore le manque de collaboration de la police.

« Il n’y a pas de caméra et pas vraiment de surveillance. Surtout, les voitures sont là pour plusieurs jours puisqu’on part sur des vols à travers le monde. Donc, ces stationnements-là sont vraiment ciblés. C’est devenu un vrai terrain de jeu pour les voleurs et on ne comprend pas pourquoi c’est toléré », dénonce une agente de bord ayant été victime de vol.

Comme une dizaine de ses collègues qui ont parlé à La Presse, elle préfère taire son identité, de crainte de subir des sanctions professionnelles de la part de son employeur. Ils souhaitaient toutefois faire part des problèmes de vol qu’ils connaissent, plusieurs ayant même été pris à partie à la sortie de la navette les amenant vers le stationnement.

Les délits en question ont eu lieu dans les stationnements P10 et P11, réservés au personnel. « Il y en a qui se font voler leur voiture ou qui sont interpellés en descendant du bus, par des agressions physiques. D’autres se sont aussi fait endommager leur voiture. C’est quand même récurrent », relate un chef de cabine.

Un autre employé a même vu son véhicule volé à deux reprises. « La première fois, il a juste disparu et je n’ai pas eu plus d’informations. La deuxième fois, ils ont défoncé la porte, désactivé l’alarme et ont commencé à prendre l’antenne GPS et le faisceau de câblage principal », relate-t-il.

La situation inquiète aussi chez les pilotes. « Juste chez nos pilotes en formation, qui ont souvent une voiture de location, on s’en fait voler environ une par semaine dans le stationnement de l’hôtel juste à côté, à Pointe-Claire. Au P11, on a aussi eu plusieurs problèmes : des vols de voitures, des vols de pièces, des agents de bord qui se font suivre », explique un superviseur au bout du fil.

ADM jure qu’elle agit

Le gestionnaire de l’aéroport, ADM, assure avoir pris plusieurs mesures. « Nos équipes exercent une surveillance accrue des lieux 24/7 et portent évidemment une attention particulière aux véhicules les plus à risque. D’autres mesures ont également été déployées tout au long de l’année », explique le porte-parole, Eric Forest, par courriel.

ADM affirme avoir dénombré six vols dans les stationnements P10 et P11 en 2023, ainsi qu’un autre en 2024, un chiffre qui est toutefois largement sous-estimé, selon les employés, en raison du manque de communication entre les instances. Sur tout le site aéroportuaire, 112 vols de voitures ont été officiellement enregistrés l’an dernier.

Chose certaine, « ADM ne peut agir seule pour mettre fin à ce fléau », estime M. Forest. En octobre dernier, dans une lettre envoyée à la Ville de Montréal que La Presse a obtenue, la direction d’ADM s’inquiétait vivement de « l’augmentation du nombre de vols sur le site aéroportuaire » dans plusieurs stationnements.

La société faisait alors valoir qu’elle avait ajouté à ses frais des patrouilleurs et des caméras de surveillance « pour tenter d’endiguer cette situation ». « Depuis plusieurs mois, nos équipes ont multiplié les efforts pour sensibiliser le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) afin qu’il [se joigne] à nos efforts pour lutter contre ce fléau », y écrivent deux vice-présidents d’ADM, Martin Massé et Stéphane Lapierre.

« Nos équipes ont préparé des dossiers avec des photographies de suspects, des numéros de plaque d’immatriculation de véhicules utilisés pour les méfaits et nous souhaitons [communiquer] ce matériel au SPVM pour contribuer à l’enquête qui, jusqu’à présent, ne semble pas déployer les ressources et l’attention que cet enjeu requiert », concluent les deux hommes, en appelant à plus de collaboration des autorités.

Au SPVM, on assure aussi prendre la question du vol de véhicules au sérieux. « Nous intervenons lorsqu’il s’en produit, tant à l’aéroport que partout ailleurs sur notre territoire de juridiction. […] Les équipes de toutes les relèves du poste de quartier 5 portent une attention particulière » à l’aéroport, affirme la porte-parole Anik de Repentigny à ce sujet.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Les stationnements P10 et P11 sont réservés aux employés de l’aéroport Montréal-Trudeau

Le cabinet de la mairesse de Montréal se dit « fermement engagé à lutter contre le fléau des vols de voitures, qui est complexe et qui nécessite un travail de collaboration continue avec nos partenaires, le port, ADM et les deux [ordres] de gouvernement ».

« Nous participerons au Sommet sur les vols de véhicules, qui sera une occasion de renforcer notre force de frappe collective et de présenter les fruits du travail du SPVM et des partenaires impliqués dans cette lutte. La main tendue et la collaboration d’ADM sont essentielles pour planifier, coordonner et développer des solutions », affirme l’attaché de presse Simon Charron.

Manque de solutions ?

N’empêche, sur les réseaux sociaux, l’enjeu est sur toutes les lèvres dans des groupes privés d’employés de l’aéroport ou de transporteurs. Même sous une publication Facebook récente d’ADM qui annonçait l’ouverture prochaine du stationnement public P4, plusieurs n’ont d’ailleurs pas manqué de soulever la question.

« C’est vraiment décevant que nous, le personnel de cabine, on va devoir attendre des lustres pour avoir un stationnement plus sécuritaire ! Personne ne veut prendre ce dossier en charge. Qu’attendez-vous pour faire quelque chose ? Il n’y a pas eu assez de vols de voitures pour enfin remédier à cette situation ? On mérite mieux », s’est par exemple plaint un internaute.

Selon une préposée au service client, le principal problème est que le stationnement « est accessible à tout le monde par l’autoroute ».

« La nuit, il fait sombre et il n’y a pas assez de lumière. Je me gare toujours au dernier arrêt, car je ne me sens pas en sécurité de marcher seule en tant que femme. Disons simplement que si jamais quelque chose m’arrivait, je serais toute seule. Pas de caméra et pas de sécurité », glisse l’employée, dont la voiture a déjà été vandalisée à deux reprises au cours des derniers mois.

Selon un autre salarié de l’aéroport, ADM et le SPVM ne font en fait pas grand-chose pour endiguer le phénomène. « Il y a eu un comité qui s’est penché sur la sécurité à ces stationnements-là, mais on ne sait pas ce que ça a donné. Sinon, on nous parle d’évènements isolés, mais ce n’est pas le cas. »

Payer 300 $… pour se faire voler

Une femme qui s’est fait voler son VUS neuf laissé dans le stationnement de l’aéroport international Montréal-Trudeau au début du mois s’interroge sur les mesures de prévention prises à cet endroit, alors que les vols de voitures dans le secteur sont de plus en plus nombreux.

« La journée où ça nous est arrivé, il y avait une autre famille qui cherchait aussi sa voiture ! », se remémore Miranda O’Reilly. Elle rentrait d’un voyage dans le Sud en famille le 8 janvier dernier vers l’heure du souper. Une mauvaise surprise l’attendait : aucune trace de son Ford Expedition 2022.

Son conjoint et elle ont scruté le stationnement en quête du VUS neuf. Rien à faire. « On a appelé la sécurité. Le gars nous a confié qu’il était pas mal habitué », explique Mme O’Reilly en entrevue.

Elle a d’ailleurs remarqué que le stationnement en question est sombre : peu de lampadaires semblent fonctionner.

Impossible de voir clairement ce qui s’est passé.

Bonne nouvelle

Mme O’Reilly en est certaine : son véhicule a été volé le 5 janvier dernier, puisque c’est la dernière date enregistrée sur son application de géolocalisation. Son système indiquait alors que la voiture se trouvait dans un parc industriel de la 46e Avenue, non loin de l’aéroport.

Elle s’est rendue sur les lieux, où se trouvaient des conteneurs empilés les uns sur les autres à perte de vue.

Elle a prévenu la police, qui devait s’y rendre pour enquêter. « J’étais furieuse quand j’ai réalisé le lendemain que les policiers n’y étaient pas allés. J’y suis allée moi-même ! » Elle a tenté plusieurs suivis auprès de la police, sans succès.

La police n’a envoyé personne. On est allés nous-mêmes vérifier. On nous a juste conseillé de parler aux assurances.

Miranda O’Reilly, victime d’un vol de voiture à l’aéroport

Un agent l’a appelée au milieu de la nuit dans les jours suivants : bonne nouvelle, son Ford Expedition avait été retrouvé !

Le Ford Expedition était en parfait état, mis à part la plaque d’immatriculation manquante. « Ils avaient aussi coupé le fil de connexion du GPS. »

Fléau

Le couple est soulagé : certes, les assurances auraient remboursé l’achat d’un nouveau véhicule.

« Mais la valeur de remplacement n’aurait pas suffi à ravoir exactement le même modèle. C’est un problème qui m’aurait coûté peut-être 20 000 $. J’ai été très chanceuse », se réjouit Mme O’Reilly.

Les assurances exigeaient certaines mises à niveau et réparations plutôt coûteuses. Ce n’est que lundi dernier que la Montréalaise a récupéré sa voiture.

À présent, elle s’interroge : que fait-on à l’aéroport pour prévenir ce fléau ? Le coût d’un stationnement pour la semaine était tout de même de 300 $.

« Pourquoi n’y a-t-il pas de la surveillance en tout temps dans ce stationnement ? On s’attend quand même à ce que ce soit sécuritaire. Mais le gars de la sécurité nous a dit que c’était quasiment tous les jours que ça se passait. »

En savoir plus
  • 2,7 millions
    Nombre de véhicules qui se sont garés dans le parc de l’aéroport de Montréal en 2023, l’un des plus grands stationnements de la métropole
    source : AÉROPORTS DE MONTRÉAL