Moins d’un an avant qu’une piétonne soit happée mortellement à une intersection du quartier Saint-Michel, la Ville de Montréal avait choisi de ne pas installer un panneau d’arrêt comme le demandaient des résidants pour apaiser la circulation. Un rapport d’ingénieur commandé à l’époque et obtenu par La Presse conclut que le nombre d’accidents ne justifiait pas l’ajout de mesures.

Le 22 juin dernier, Dilan Kaya, 22 ans, a été fauchée par le conducteur d’un camion lourd à l’angle de la rue Bélair et de la 22Avenue, dans le quartier Saint-Michel. Peu après, des résidants du secteur ont tôt fait de qualifier cet évènement de tragédie « prévisible » et « évitable ».

Maxime Thibault, qui demeure non loin de l’endroit où est survenu l’accident, avait contacté l’arrondissement à de nombreuses reprises avant même que Mme Kaya perde la vie. « Je vous demande d’intervenir avant qu’il y ait un accident », avait-il par exemple écrit au conseiller d’arrondissement Sylvain Ouellet en juin 2021.

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Or, selon un rapport d’étude de circulation réalisé en juillet 2022 par la firme SNC-Lavalin et obtenu par La Presse en vertu d’une demande d’accès à l’information, l’état des lieux ne justifiait pas l’installation d’un panneau d’arrêt à l’angle de la rue Bélair et de la 18Avenue, à quelques centaines de mètres du lieu de l’accident.

Le rapport explique notamment qu’il n’y avait eu « aucun accident pendant une période de 3 ans » pour justifier sa décision. Or, selon M. Thibault, qui demeure tout juste en face de cette intersection, pas moins de quatre accidents ont eu lieu entre novembre 2021 et septembre 2022.

« Et ça, c’est seulement ceux dont j’ai été témoin, dit-il. J’ignore quelle méthodologie a été utilisée pour en arriver à cette conclusion. »

« La plupart des critères [permettant l’ajout d’un panneau d’arrêt] n’ont pas été satisfaits », peut-on également lire dans le rapport. Au nombre de ces critères insatisfaits, le ratio entre le volume de circulation dans la rue Bélair et celui sur la 18Avenue : le nombre de véhicules empruntant la première était alors considérablement plus élevé que pour la seconde.

« La priorité semble mise avant tout sur le confort des automobilistes, s’indigne M. Thibault. On se refuse à les forcer de s’arrêter même si c’est une intersection dangereuse. »

Aucune accusation n’a été déposée contre le conducteur du camion lourd, et le dossier de la mort de Dilan Kaya a été transmis au Bureau du coroner.

Arrêts à valeur variable

Même si l’accident mortel est survenu alors que le conducteur du camion lourd arrivait de l’est et que la 18Avenue est située plus à l’ouest de la 22e, bon nombre de résidants rencontrés dans la foulée de l’accident ont estimé que davantage de mesures d’apaisement de la circulation – dont des panneaux d’arrêt – sur l’ensemble de la rue Bélair auraient été de mise.

Or, Michèle St-Jacques, professeure à l’École de technologie supérieure (ETS), affirme plutôt que tous ces panneaux ne se valent pas, et que certains risquent même d’accentuer le danger. Elle n’a toutefois pas commenté le cas précis de la rue Bélair.

Installer des panneaux stop qui sont non justifiés, c’est extrêmement dangereux.

Michèle St-Jacques, professeure à l’École de technologie supérieure et experte en sécurité routière

Elle justifie cette affirmation par deux constats. D’abord, dit-elle, le fait que « les automobilistes qui s’arrêtent à un panneau vont par la suite accélérer pour rattraper le temps perdu ». Ensuite, l’amalgame qui se fait dans l’esprit des conducteurs entre les panneaux d’arrêt « justifiés » et ceux qui n’ont pas lieu d’être. « Les conducteurs ne savent plus quel stop est justifié ou pas, donc ils n’en respectent aucun », affirme Mme St-Jacques.

En septembre 2020, une modification à la Loi sur les ingénieurs a eu comme effet de réglementer davantage l’ajout de mesures d’apaisement de la circulation en exigeant pour cela des plans et devis scellés par un ingénieur. Auparavant, il était donc plus facile de faire ajouter, par exemple, des panneaux d’arrêt obligatoire. Le conseiller Sylvain Ouellet avait fait valoir, en entrevue avec La Presse peu après le drame, que cette modification complexifiait son objectif d’apaiser la circulation dans son arrondissement.

Cependant, de l’avis de Mme St-Jacques, cette modification faite à la loi est une « excellente chose ». Auparavant, les politiques pouvaient prendre des décisions « sans consulter d’ingénieurs », déplore-t-elle. En faisant de l’évaluation de la sécurité routière un « acte réservé » aux ingénieurs, la modification permet que « tout soit enfin normé ».