Il faut toujours plus de temps qu’il y a cinq ans pour obtenir un permis de construction à Montréal, malgré la volonté de la Ville de réduire l’attente en simplifiant la bureaucratie, en raison de la crise du logement.

Les délais varient selon les arrondissements, mais dans l’ensemble de la métropole, ils ont augmenté en moyenne de 34 %, si on les compare à ceux de 2018, selon des données obtenues et analysées par La Presse.

Dans la plupart des secteurs, ils ont légèrement décliné depuis le début de 2023, mais cela peut s’expliquer par le fait que le nombre de permis a aussi diminué, alors que les chantiers sont au ralenti en raison de la conjoncture économique.

Par exemple, dans l’arrondissement de Ville-Marie, qui inclut le centre-ville, il faut en moyenne 106 jours pour l’obtention d’un permis, comparativement à 40,4 jours en 2018. À Lachine, c’est 114,1 jours, alors qu’il fallait 59,7 jours en 2018.

Conséquence : des projets de logements sont retardés, alors que les besoins sont criants.

Six ans d’attente

« Les délais sont épouvantables ! », s’indigne l’entrepreneur Thomas Smeesters, avant de nous donner quelques exemples.

Le PDG de Construction Tomico a dû attendre son permis pendant six ans pour pouvoir construire un immeuble de quatre logements dans une rue résidentielle de l’arrondissement de LaSalle.

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Thomas Smeesters, PDG de Construction Tomico

« C’était pourtant un projet très simple, qui n’exigeait aucune dérogation, explique-t-il. Même si j’avais le droit de construire un quadruplex dans ce secteur, l’arrondissement préférait quelque chose de plus petit. »

Il lui a donc fallu présenter 10 versions différentes de son projet, au fil des années, avant d’obtenir, en 2022, le permis convoité, à la faveur d’un changement au comité consultatif de l’urbanisme (CCU), chargé de faire des recommandations au conseil d’arrondissement.

« En pleine pénurie de logements, c’est aberrant. Quand ça prend moins d’un an, c’est parce que ça a bien été », déplore M. Smeesters. La Ville de Montréal insiste pourtant depuis des années sur l’importance de densifier les quartiers résidentiels.

L’entrepreneur est encore une fois confronté à la bureaucratie municipale pour un projet de 20 logements, cette fois dans le quartier Montréal-Nord. Après avoir fourni tous les documents requis, une étape qui entraîne des dépenses, dit-il, de « plusieurs centaines de milliers de dollars », il a obtenu son permis en 2022.

Or, comme plusieurs constructeurs, il doit maintenant reporter la première pelletée de terre en raison de la situation économique, qui rend l’accès au financement beaucoup plus difficile.

On me dit que si je tarde encore à entreprendre la construction, je vais être obligé de reprendre le processus depuis le début. Un cauchemar ! C’est de l’intransigeance de leur part.

Thomas Smeesters, PDG de Construction Tomico

M. Smeesters a aussi dû composer avec des documents perdus trois fois par un fonctionnaire municipal, pour un projet résidentiel dans le quartier Ville-Émard, raconte-t-il.

Double processus d’approbation

Mélanie Robitaille, vice-présidente et DG du promoteur Rachel Julien, attend quant à elle depuis 11 mois son permis de construction pour un projet de 1000 logements dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. Elle a acheté son terrain en février 2019. Presque cinq ans plus tard, les dépenses de lancement atteignent 7 millions.

Elle pointe du doigt le double processus d’approbation qui existe à Montréal : à l’arrondissement et à la ville-centre. L’un attend après l’autre.

L’arrondissement a plein de bonne volonté, mais il y a des départs à la retraite, des arrêts de travail, énormément de départs.

Mélanie Robitaille, vice-présidente et DG du promoteur Rachel Julien

De plus, entre l’achat du terrain et sa demande de permis en décembre 2022, elle a dû s’y prendre à deux fois pour obtenir son changement de zonage, car 71 citoyens s’y sont opposés la première fois.

Une « cellule facilitatrice »

La Ville vise pourtant à réduire la bureaucratie et les délais de délivrance des permis, pour faciliter la construction résidentielle, ont assuré les élus à plusieurs reprises.

Une « cellule facilitatrice », composée d’acteurs du domaine de l’habitation, a d’ailleurs été mise en place dans ce but, en 2021. En mars dernier, la Ville a annoncé que « des dizaines d’outils et de pistes de solution » identifiés par la cellule seraient testés, pour un an, dans quatre arrondissements : Ville-Marie, Sud-Ouest, LaSalle et Rosemont–La Petite-Patrie.

Comme dans la majorité des arrondissements, les délais dans ces quatre secteurs ont légèrement diminué depuis le début de l’année, sauf à LaSalle, où ils ont augmenté de 58 à 68,9 jours comparativement à 2022. Mais partout, la délivrance des permis prend toujours plus de temps qu’il y a cinq ans.

Cette situation peut s’expliquer en partie par la plus grande complexité des demandes et des règlements d’urbanisme, selon Benoit Dorais, responsable de l’habitation au comité exécutif et maire de l’arrondissement du Sud-Ouest.

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Benoit Dorais, maire de l’arrondissement du Sud-Ouest et responsable de l’habitation au comité exécutif de la Ville de Montréal

« Dans notre arrondissement, on a changé quatre fois notre règlement d’urbanisme. Des projets de rénovation sont dorénavant considérés comme des projets de construction, dans certains cas », observe-t-il, ce qui peut influencer les délais de délivrance de permis. Les délais dans le Sud-Ouest sont passés de 55,4 jours en 2018 à 97 jours en 2022, puis à 85 jours depuis le début de 2023.

N’empêche, des changements peuvent tout de même être implantés dans l’organisation du travail et à certaines étapes du processus, reconnaît-il.

Des pratiques « inégales »

« Les pratiques sont très inégales d’un arrondissement à l’autre », notamment à l’étape du CCU, observe le responsable du développement économique au comité exécutif, Luc Rabouin, aussi maire du Plateau-Mont-Royal.

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Luc Rabouin, maire du Plateau-Mont-Royal et responsable du développement économique au comité exécutif de la Ville de Montréal

Le plan d’action de la cellule facilitatrice vise d’abord les plus gros projets, susceptibles de créer le plus grand nombre de logements, dans les quatre arrondissements tests, explique M. Rabouin.

« On suit 90 gros projets de manière prioritaire, parce qu’ils sont plus complexes et rencontrent donc plus d’enjeux de délais, dit-il. Tous les projets de 10 millions ou plus, et tous les projets de logements sociaux de 3 millions ou plus, sont automatiquement ciblés. »

Après que les causes de délais dans ces 90 projets ainsi que les solutions pour tenter de les réduire auront été cernées, les meilleures pratiques seront communiquées avec tous les arrondissements, indique M. Rabouin.

« La plupart des élus à Montréal savent qu’il y a une crise du logement et sont conscients de l’importance d’être efficace, ajoute-t-il. On est conscients de l’ampleur du défi, les changements risquent de prendre un peu de temps. »

Avec la collaboration d'André Dubuc et de Pierre-André Normandin, La Presse

Des exigences propres à chaque arrondissement

Les démarches et documents à produire pour obtenir un permis de construction varient d’un arrondissement à l’autre. Certains travaux pourtant similaires sont considérés comme des travaux de transformation dans certains arrondissements, alors que dans d’autres, ils sont considérés comme ne nécessitant qu’un certificat d’autorisation.

On peut être appelé à produire un certificat de localisation, une fiche-bâtiment, une fiche technique, un plan d’aménagement paysager, un plan d’élévation, un plan de structure et un plan de ventilation, notamment.

Il faudra peut-être respecter des critères de qualité supplémentaires et fournir un plan d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA), avant l’obtention d’un permis de construction ou de rénovation, notamment dans un secteur patrimonial. Cette procédure entraîne des frais supplémentaires, propres à chaque arrondissement, et allonge les délais.

Le dossier est ensuite analysé par le comité consultatif de l’urbanisme (CCU), qui fait des recommandations au conseil d’arrondissement pour que celui-ci prenne une décision.