(Montréal) Des résidants du quartier chinois de Montréal soutiennent qu’ils se sentent vulnérables et craintifs en raison de l’augmentation de la criminalité et de la consommation de drogue dans leur secteur, et ils exhortent la Ville à déployer davantage de policiers pour s’attaquer au problème.

Des résidants et des commerçants ont déclaré en conférence de presse jeudi qu’ils étaient exposés à des actes croissants de vandalisme, de harcèlement et de violence, liés au trafic de drogues et à l’itinérance.

John Liu, prêtre catholique du quartier chinois, soutient qu’il a été frappé à coups de pied par une femme devant son église le mois dernier. Les portes du temple ont été vandalisées et les paroissiens ont vu leurs rétroviseurs brisés, a-t-il ajouté.

« Même nos paroissiens ont peur d’aller à l’église », a déclaré le père Liu, qui dirige aussi un organisme qui aide les personnes âgées.

Plusieurs résidants et commerçants lors de la conférence de presse ont blâmé le refuge pour sans-abri qui a ouvert au Complexe fédéral Guy-Favreau pendant la pandémie de COVID-19. Selon les résidants et les commerçants mécontents, ce refuge a attiré dans le quartier chinois des petits trafiquants de drogue et a fait augmenter la criminalité, le désordre et les conditions insalubres, telles que des rues jonchées d’excréments et d’ordures.

Bryant Chang, de l’Association chinoise de Montréal, affirme que la population de sans-abri a « explosé » et il estime que le quartier chinois est devenu un « dépotoir » pour les problèmes sociaux qui proviennent d’autres secteurs à Montréal.

Le quartier chinois ne devrait pas être le dépotoir des sans-abri, et la cohabitation n’est pas le bon concept, ni une solution à long terme à un problème social aussi complexe.

Bryant Chang, Association chinoise de Montréal

Lors de la conférence de presse, certains ont suggéré que le quartier chinois accueille maintenant des sans-abri provenant du « Village » — autrefois appelé « village gai » —, qui connaît lui aussi des enjeux d’itinérance, de toxicomanie et de criminalité.

Alors que doit fermer cet automne le refuge pour sans-abri du Complexe Guy-Favreau, administré par la Société de développement social, le groupe de résidants s’inquiète que la mairesse de Montréal ait laissé entendre qu’un autre refuge pourrait ouvrir ses portes dans le quartier.

Ils demandent également à la police d’augmenter ses patrouilles à pied et de faire appliquer toutes les lois et tous les règlements. Ils invitent par ailleurs les autorités municipales à tenir des consultations publiques plus larges avec les résidants sur la sécurité et la qualité de vie dans le quartier chinois.

Ils veulent par ailleurs empêcher l’ouverture de tout nouveau refuge pour personnes en situation d’itinérance dans le quartier chinois.

Dans une déclaration écrite, la Ville de Montréal a indiqué que le quartier chinois, comme d’autres secteurs de la métropole et du pays, est confronté à une augmentation des problèmes sociaux complexes liés à la santé mentale, à la toxicomanie et à la pénurie de logements.

Le comité exécutif explique qu’il augmente la présence policière, ainsi que son équipe de médiation sociale sur le terrain, tout en travaillant sur des enjeux plus fondamentaux comme le logement et les services spécialisés.

Peur de sortir de chez elle

Christiane Jansen, qui vit dans le quartier depuis plus de 30 ans, a raconté jeudi que les cris, les bagarres et la consommation de drogue dont elle a été témoin l’ont rendue nerveuse à l’idée de sortir de chez elle le soir.

« Ils se battent pour la drogue, ils crient, ce n’est pas tolérable », a-t-elle dit. Elle explique que comme le refuge à Guy-Favreau ferme tôt le matin, les itinérants passent la journée à errer sur la place publique, en consommant ouvertement de la drogue et de l’alcool et en attirant les petits trafiquants.

Mme Jansen, comme beaucoup d’autres lors de la conférence de presse, a reconnu que les personnes aux prises avec la toxicomanie et l’itinérance ont besoin d’un endroit où aller. Elle croit par contre que la solution ne réside pas dans ces refuges, mais plutôt dans des initiatives qui s’attaquent à la racine du problème, comme des logements permanents et des centres de traitement de la toxicomanie.

On a demandé à Fo Niemi, fondateur du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), une organisation de défense des droits civiques qui défend souvent les victimes de policiers, si davantage de maintien de l’ordre était le meilleur moyen de lutter contre l’itinérance et la toxicomanie.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Fo Niemi, fondateur du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR)

Il a répondu que son organisme souhaitait une répression des comportements criminels tels que les crimes liés à la drogue et les agressions, et non contre l’itinérance elle-même. Il a déclaré que le quartier chinois avait toujours accueilli des sans-abri et que de nombreux résidants et commerces leur offraient même de la nourriture.

Mais selon M. Niemi, de nouveaux itinérants se conduisent d’une façon « très menaçante » à l’égard de la population du quartier chinois, composée de nombreuses personnes âgées immigrées, qui vivent leurs propres vulnérabilités et dont la voix n’est pas entendue.

Sam Watts, PDG de la Mission bon accueil, affirme que la centaine de personnes qui utilisent le refuge du quartier chinois sont des « cas plus complexes », donc plus difficiles à résoudre.

Il admet qu’une partie du problème de cohabitation découle de la nature « sous-optimale » du refuge, avec qui son organisme a refusé de collaborer, car ce centre dispose selon lui d’installations médiocres et n’est ouvert que la nuit.

Or, M. Watts estime que pour être efficaces, les refuges doivent fonctionner 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et offrir une gamme de services qui répondent aux besoins de leurs clients et les aident éventuellement à occuper un logement.

M. Watts a estimé par ailleurs que la plus grande solution aux enjeux complexes de l’itinérance n’est pas la police — qui ne fait que déplacer le problème — ou d’essayer de plaire aux résidents mécontents.

« La réponse est en fait de trouver des solutions pour les personnes dans le besoin elles-mêmes. Et ce qui est intéressant, c’est que si nous le faisons, nous finissons par résoudre les deux problèmes à la fois. »