Un accident de voiture sur la voie Camillien-Houde, à l’endroit même où un cycliste a perdu la vie en octobre 2017, ravive des inquiétudes chez les usagers, d’autant plus que le réaménagement prévu de l’artère ne sera pas terminé avant au moins 2027.

« À la suite du décès de mon cousin, les choses n’ont pas vraiment changé, sinon peut-être la chaussée qui s’est encore dégradée », déplore Antoine Coallier, qui gravissait la voie au moment de l’accident. « L’automobiliste roulait peut-être à 90 km/h et il a foncé à toute vitesse dans le terre-plein. C’est un heureux hasard que j’étais du bon côté et qu’il n’y avait pas non plus de cycliste de l’autre côté », dit-il.

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Antoine Coallier gravit la voie Camillien-Houde, ce printemps, avec en arrière-plan le vélo fantôme installé à la mémoire de son cousin, Clément Ouimet.

Antoine Coallier effectue l’ascension de la voie Camillien-Houde quotidiennement. Comme de nombreux cyclistes montréalais, il y voit en quelque sorte l’Alpe d’Huez de la métropole. Pourtant, il ne s’y sent jamais vraiment en sécurité. « C’est un endroit dangereux, il faut toujours rester aux aguets », affirme-t-il.

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Un cycliste passant devant le vélo fantôme installé à la mémoire de Clément Ouimet salue le jeune homme, mort à 18 ans.

Le danger que pose la voie Camillien-Houde, Antoine Coallier le connaît particulièrement bien. Son cousin, Clément Ouimet, y a perdu la vie en octobre 2017 après qu’un véhicule a effectué un demi-tour interdit. « L’accident [du 8 juin] s’est passé exactement dans la courbe où Clément est mort », rappelle-t-il, désolé « de voir un accident un peu semblable au même endroit ».

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Reconnaissant le caractère « inhospitalier pour les piétons et les cyclistes » de l’artère, la Ville s’est engagée à la réaménager, mais les travaux ne débuteront pas avant 2024 et devraient durer au moins jusqu’en 2027.

Perte de maîtrise

Le conducteur du véhicule, un homme de 18 ans, est sorti indemne de l’accident, a fait savoir Caroline Chèvrefils, porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Il aurait perdu la maîtrise de son véhicule, mais le SPVM n’a pu confirmer si la vitesse était en cause.

« Un policier nous a fait savoir qu’un jeune au volant d’une BMW roulait vite et aurait manqué sa courbe », a toutefois affirmé le cycliste Jean-Philippe Guay, qui est arrivé sur les lieux dans les minutes qui ont suivi le capotage. « Ça arrive, des petits accrochages, mais c’est la première fois que je vois un accident de cette ampleur-là. »

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Le véhicule ayant fait une embardée, voie Camillien-Houde

Antoine Coallier abonde dans son sens. « Je les vois toujours, les véhicules qui vont vite, mais à cette vitesse-là, ça n’était jamais arrivé, dit-il. Sans doute que [le conducteur] ne savait même pas qu’il y avait une courbe aveugle. »

Un conflit d’usage

Accotements trop étroits, chaussée en piètre état et cohabitation difficile : de nombreux facteurs font de la voie Camillien-Houde un endroit particulièrement périlleux, croit Marc-Antoine Desjardins.

M. Desjardins est l’instigateur du projet de « cyclovia » qui prévoit la fermeture de la voie au trafic automobile les dimanches matin en période estivale. Il s’insurge contre l’état de perdition dans lequel se trouve cette voie reliant l’avenue du Mont-Royal au sommet du mont. « L’asphalte est dans un état de déliquescence totale, constate-t-il. C’était déjà expiré et en fin de vie utile il y a 10 ans. Le grain est dégradé et on voit les différentes strates d’asphalte. C’en est ridicule ! »

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Le piètre état de la chaussée force parfois les cyclistes à s’engager dans la voie où circulent également les automobilistes.

La situation est particulièrement problématique dans les voies d’accotement, où sont cantonnés les cyclistes et où s’arrêtent souvent les automobilistes. « Avec toutes les voitures stationnées dans l’accotement pour prendre de belles photos, ça force les cyclistes à s’engager dans la voie. Et c’est sans parler du risque d’emportiérage », dit M. Desjardins.

Les automobilistes qui s’arrêtent dans l’accotement pour observer le coucher du soleil, ça pose un danger.

Antoine Coallier

Le projet de réaménagement de la voie Camillien-Houde et du chemin Remembrance, estimé à 90 millions, prévoit notamment l’aménagement de trottoirs, de bordures et de feux de circulation. L’une des visées de ce projet est de « favoriser la pratique du vélo pour l’ensemble de la population », apprend-on dans le Programme décennal d’immobilisations.

PHOTO YVES TREMBLAY, ARCHIVES LES YEUX DU CIEL

Vue aérienne de la voie Camillien-Houde

La Ville compte présenter un plan plus détaillé à l’automne, a fait savoir Catherine Cadotte, attachée de presse principale du cabinet de la mairesse de Montréal.

« Imprévoyance »

La fermeture pendant plusieurs mois du circuit Gilles-Villeneuve, haut lieu du cyclisme montréalais, accentue par ailleurs l’achalandage sur la voie Camillien-Houde.

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« Le circuit Gilles-Villeneuve et la voie Camillien-Houde, ce sont les deux mains d’une même personne », affirme sans détour Marc-Antoine Desjardins. Quand l’un de ces lieux de prédilection n’est plus accessible, l’autre devient par le fait même plus couru, dit-il.

Dans ce contexte et à la lumière de l’accident survenu la semaine dernière, M. Desjardins déplore l’« imprévoyance » de la Ville. « J’ai l’impression [qu’elle] va attendre qu’un autre cycliste meure ou se blesse pour agir concrètement. »

En savoir plus
  • 10 000
    Nombre de véhicules qui circulaient quotidiennement sur la voie Camillien-Houde en 2018.
    Source : direction régionale de santé publique de Montréal
    8000
    Seuil de passages quotidiens de véhicule au-delà duquel est recommandée l’implantation d’une voie cyclable désignée – plutôt qu’un accotement.
    Source : ministère des Transports du Québec