Les sans-abri vivant dans un campement sous l’autoroute Ville-Marie, près du centre-ville de Montréal, devront quitter les lieux avant le 15 juin, a décidé un juge de la Cour supérieure, mardi.

Les représentants du groupe de campeurs avaient demandé à la cour de leur donner jusqu’au 15 juillet avant l’expulsion, pour qu’ils aient le temps de trouver des logements, mais cela leur a été refusé par le juge Pierre Nollet.

Le ministère des Transports du Québec (MTQ), propriétaire du terrain, demande depuis novembre dernier le démantèlement du campement d’une douzaine de personnes, parce qu’il doit entreprendre un chantier de 36 millions, sur trois ans, pour la réfection du pont de l’autoroute.

La présente affaire met en relief les défis monumentaux rencontrés afin de répondre aux besoins de la population itinérante.

Le juge Pierre Nollet, dans sa décision

Le juge explique qu’il doit examiner « la balance des inconvénients ». « Il faut rechercher laquelle des deux parties subit le plus grand préjudice selon que l’injonction interlocutoire est accordée ou refusée dans l’attente d’une décision sur le fond », écrit-il.

« Communauté d’entraide »

Pour les campeurs, une expulsion signifie la fin de leur « communauté d’entraide », reconnaît le juge. « Il existe un risque que le démantèlement du campement provoque des effets dévastateurs sur le filet de sécurité et d’entraide que celui-ci assure et plongerait ses membres plus profondément dans l’instabilité et l’isolement », peut-on lire dans le jugement.

Mais chaque jour de retard dans les travaux pose aussi un danger pour la sécurité des usagers de l’autoroute Ville-Marie, puisque les dommages aux structures sont importants. « Des fissures dans le béton sont visibles et sont un signe potentiel de réduction de la capacité structurale », note le juge, ajoutant que des interventions d’urgence pourraient forcer des fermetures imprévues, « affectant les milliers d’usagers quotidiens ».

« La région de Montréal a déjà pu constater les conséquences désastreuses de l’absence de soins appropriés apportés aux infrastructures routières. Outre les conséquences économiques, il y a des conséquences humaines en jeu. Elles ne peuvent être ignorées. »

Retards coûteux

Tout en donnant raison au gouvernement, le juge Nollet souligne que les retards occasionnés par le refus des campeurs de quitter les lieux coûteront des centaines de milliers de dollars aux contribuables. « Dans ce contexte, il peut paraître étonnant que la relocalisation des occupants ne fasse pas partie des coûts du projet », avance-t-il, ajoutant que tous seraient sortis gagnants d’une utilisation des fonds publics pour loger ces sans-abri. « Il s’agit toutefois d’une décision qui relève de l’exécutif [gouvernement] et non du judiciaire. »

La semaine dernière, l’avocate du MTQ a évoqué des frais de 2 millions occasionnés par les retards du chantier.

Le juge Nollet souligne aussi que les démarches pour reloger les habitants du campement auraient dû être entreprises bien avant.

La preuve est faite que ces ressources existent. […] Si tous s’étaient mobilisés en novembre 2022 pour trouver une solution, on ne parlerait pas de la présente situation.

Le juge Pierre Nollet

La Clinique juridique itinérante, qui représente les campeurs devant la justice, était en cour la semaine dernière pour demander une prolongation jusqu’au 15 juillet du délai accordé avant le démantèlement. La date du 15 juin avait précédemment été fixée par un autre jugement.

Leur avocate a alors expliqué que seulement trois sans-abri ont pu être relocalisés dans des logements jusqu’à maintenant, dont un dans un refuge temporaire.

Un couple, dont la femme de 42 ans est enceinte, était en voie d’inscription au Programme de supplément au loyer (PSL), mais il n’avait toujours pas trouvé d’appartement. Six autres campeurs, âgés de 44 à 69 ans, n’avaient pas non plus de logement où s’installer ; ils étaient en train de compléter la paperasse nécessaire à leur participation au PSL. Quant à trois autres résidants des lieux, ils se sont montrés peu réceptifs à obtenir de l’aide pour délaisser leur tente.

Le directeur de la Clinique juridique itinérante, MDonald Tremblay, a indiqué en fin de journée mardi qu’il étudiait le jugement avant de décider s’il y aurait appel. Quant aux démarches pour trouver de l’hébergement pour les campeurs, elles sont toujours en cours, a-t-il dit.

L’histoire jusqu’ici

Novembre 2022

Une quinzaine de sans-abri ayant planté leur tente sous l’autoroute Ville-Marie reçoivent un avis d’éviction du ministère des Transports du Québec (MTQ). L’avis est levé le 9 novembre, mais aucune nouvelle date n’est fixée.

Mars 2023

Les campeurs sont sommés de quitter les lieux à la fin du mois. La Clinique juridique itinérante dépose une demande d’injonction pour leur permettre d’y demeurer jusqu’au 15 juillet 2023, le temps de leur trouver des logements permanents.

24 avril 2023

La Cour supérieure donne aux campeurs un sursis jusqu’au 15 juin 2023. Le MTQ annonce qu’il démarre le chantier dans les zones où il n’y a pas de danger pour les campeurs.

30 mai 2023

La Clinique juridique itinérante demande que le délai soit prolongé jusqu’au 15 juillet.