(Québec) Une loi ne suffira pas pour mettre fin au profilage racial par les corps policiers, a indiqué le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) mardi.

Le SPVM était en commission parlementaire pour se prononcer sur le projet de loi 14, qui prévoit l’énonciation de « lignes directrices » par le ministre de la Sécurité publique pour encadrer les interpellations policières aléatoires.

La Ligue des droits et libertés a pour sa part exigé carrément l’interdiction des interpellations policières visant autant les piétons que les automobilistes.

À l’opposé, le syndicat des policiers de la Ville de Montréal a mis en garde le ministre François Bonnardel contre un encadrement trop strict des interpellations, qui seraient utiles dans la lutte aux gangs de rue.

Dans un jugement rendu en octobre dernier, la Cour supérieure a condamné l’interception routière, qu’elle a associée à du « profilage racial ». Le gouvernement a demandé à la Cour d’appel de casser ce jugement.

En commission parlementaire, la députée libérale Jennifer Maccarone a voulu savoir si le projet de loi déposé par le ministre Bonnardel allait aider le SPVM à mettre fin au profilage racial.

« Ce n’est pas par le biais d’une seule loi qu’on arrive à faire évoluer tant les pratiques que les comportements », a répondu le directeur adjoint du SPVM, Marc Charbonneau.

« C’est un amalgame d’actions qui doivent être posées », a-t-il poursuivi, en laissant entendre qu’il souhaitait plus de précisions dans le projet de loi sur les directives qui pourraient être énoncées.

La Ligue des droits et libertés a quant à elle plaidé que l’interpellation de piétons ne repose sur aucun fondement en droit et a également déploré que le gouvernement en appelle du jugement de la Cour supérieure.

« La ligne directrice ne répond absolument pas à la problématique », a affirmé la responsable de la mobilisation de la Ligue, Lynda Khelil.

Fraternité des policiers

Le président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal, Yves Francœur, a quant à lui mis en garde M. Bonnardel concernant les éventuelles lignes directrices.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Yves Francoeur

Ce type d’interpellation aléatoire est nécessaire pour lutter contre les gangs de rue, a suggéré M. Francœur en commission parlementaire.

« La ligne est très mince entre le travail de renseignement criminel et l’encadrement de la pratique » de l’interpellation, a prévenu M. Francœur.

« Trop l’encadrer dans le contexte de la violence actuelle » à Montréal est nuisible, a évoqué le président du syndicat.

Les policiers doivent faire leur travail et c’est ce que « 90 % de la population » demande pour vivre en sécurité, a insisté M. Francœur.

« Lorsque les policiers patrouillent, qu’il fait noir et qu’ils voient un individu avec un sac à dos qui circule entre les véhicules dans un parc industriel, Monsieur et Madame-tout-le-monde s’attendent à ce que nos policiers aillent voir la personne et lui demandent : "tu fais quoi, toi, à 2 h du matin alors qu’il n’y a personne autour ?" Ça c’est du renseignement policier. »

M. Bonnardel a clairement demandé aux représentantes de la Ligue des droits et libertés qu’est-ce que devrait faire un policier dans l’exemple d’intervention donné par M. Francœur, mais elles n’ont pas donné une réponse claire à la question.

« Les interpellations ne font pas partie des pouvoirs policiers prévus par la loi », a soutenu Laurence Guénette, de la Ligue.

« Les autres pouvoirs sont légaux, ces pouvoirs sont suffisants. Ça prend des critères pour qu’un policier entre en interaction avec des personnes. »

Le député libéral André Albert Morin a rappelé avec ironie à la Ligue qu’un comité d’élus caquistes avait aussi appelé à la fin des interpellations policières aléatoires, ce que ne fait pourtant pas le projet de loi.

Démissions

En outre, la Fraternité a dressé un tableau sombre de l’état des effectifs et du moral des troupes.

Il y a eu un « record » de 78 démissions l’an dernier et pas moins d’une vingtaine de plus depuis le début de cette année.

« Honnêtement, c’est difficile », a déclaré M. Francœur, en dénonçant les nouvelles sanctions déontologiques que veut imposer le gouvernement dans le projet de loi 14.

Or selon ce que le président de la Fraternité a laissé entendre, ses membres subissent déjà trop de pressions et ces sanctions ne feraient qu’en rajouter.

Il a indiqué que les consultations auprès des cinq psychologues du programme d’aide offert aux policiers ont augmenté de 56 %, entre 2017 et 2021.

Le projet de loi 14 modifierait notamment le rôle du Comité de déontologie policière, qui deviendrait un tribunal.

M. Francœur rejette, par exemple, l’imposition de sanctions comme un examen médical, un programme d’aide, de l’engagement communautaire et un stage d’immersion sociale.

Ce sont des mesures qui « malmènent les travailleurs », qui « traitent injustement les policiers et les traitent comme des délinquants ».

« Si on ajoute des mesures coercitives, on manque la cible », a renchéri le président de l’Association des policiers et policières du Québec, Jacques Painchaud.

« (Les policiers) sont des gens de cœur, n’allez pas dans la voie réglementaire » sur les sanctions, a-t-il demandé au ministre, qui a dit avoir entendu son appel.

Profilage racial lors des interpellations

Le ministre serait tenu d’établir les « lignes directrices » concernant les interpellations policières, incluant les interceptions aléatoires en lien avec l’article 636 du Code de la sécurité routière, dans un délai de deux mois après l’entrée en vigueur officielle de la loi.

En cas de non-respect des directives, les policiers pourraient faire face à des sanctions disciplinaires.

Les corps policiers auront par ailleurs l’obligation de publier un rapport annuel faisant état des interpellations policières, incluant les interceptions routières.

Jugement Yergeau

Rappelons qu’en octobre dernier, le juge Michel Yergeau, de la Cour supérieure, a ordonné la fin des interceptions aléatoires, parce qu’elles donnent bel et bien lieu à du profilage racial et parce que la violation des droits de ceux qui en sont victimes n’est plus tolérable.

Le juge conclut que les corps policiers n’arriveront pas à éliminer le profilage si on ne les empêche pas d’arrêter n’importe qui n’importe quand.

À l’issue d’une preuve démontrant que « les personnes noires ont, au moins, deux fois plus de chances de se faire interpeller que les personnes blanches », le juge a conclu que « le profilage racial existe bel et bien » et que c’est « une réalité qui pèse de tout son poids sur les collectivités noires ».

En outre, le magistrat estimait qu’on ne lui avait pas fait la démonstration que les interpellations aléatoires permettaient d’améliorer le bilan routier.

« Il est impossible de conclure à un lien fonctionnel entre ce type spécifique d’interpellation policière qu’est l’interception routière sans motif réel et la réduction du nombre d’accidents graves, de cas de conduite avec les facultés affaiblies ou de conducteurs au volant sans permis de conduire », a-t-il écrit.

En novembre dernier, M. Bonnardel a fait appel de cette décision devant la Cour d’appel.

Rapport de la CAQ

Un groupe d’élus caquistes avait aussi déposé un rapport en 2020 qui appelait à la fin des interpellations policières aléatoires.

« Pour ce qui est du profilage racial, le biais existant dans les interpellations policières en raison de la race apparaît comme un enjeu majeur », pouvait-on lire.

« Le profilage racial lors des interpellations policières est souligné de façon récurrente. Il rejaillit sur la confiance des citoyens à l’égard des corps policiers. Les liens existants entre violence policière et racisme sont l’autre enjeu soulevé avec insistance, dans le domaine de la sécurité publique. »

De son côté, le gouvernement tient néanmoins à maintenir l’outil de l’interception aléatoire à la disposition des policiers.

« Les interpellations et les interceptions sont importantes pour sécuriser la population, mais elles ne peuvent se faire avec un motif discriminatoire », avait plaidé M. Bonnardel.