Cinq ans jour pour jour après la mort de sa fille, renversée par une voiture alors qu’elle se rendait à l’école, Jacinthe Latulippe lance une pétition pour faire bouger Québec et le ministère des Transports

(Québec) Jacinthe Latulippe se souvient de ce matin, il y a cinq ans jour pour jour. La petite maison dans Lotbinière était remplie d’enfants qui se préparaient à partir pour l’école. C’était juste avant la semaine de relâche, avec dans l’air l’excitation du congé qui arrive.

C’était un matin comme les autres, un matin où tout se bouscule. La mère de famille se souvient que sa fille Anaïs préparait son lunch. La petite est partie dans un coup de vent avec sa sœur, à pied. Jacinthe Latulippe a tout juste eu le temps de dire au revoir à Anaïs. Elle ne l’a jamais revue vivante.

La fille de 11 ans a été heurtée mortellement ce matin-là à Saint-Flavien, sur la Rive-Sud, dans la région de Québec. Anaïs marchait au cœur du village avec sa sœur sur un large accotement prévu pour les piétons, mais grugé par la neige en hiver. L’automobiliste a dévié dans l’accotement et tué la fillette.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

La dernière photo de classe d’Anaïs Renaud

« Aujourd’hui encore, quand je vois des enfants, des parents avec des poussettes qui marchent là, j’ai le cœur à l’envers. À peu près rien n’a changé », lâche la mère de famille en entrevue.

Cinq ans après la mort de sa fille, Jacinthe Latulippe a décidé de prendre la parole une fois de plus parce qu’elle se sent impuissante, abandonnée par les politiciens, par sa municipalité et par le gouvernement du Québec. Mais elle croit toujours que les choses doivent changer.

La coroner Géhane Kamel, qui a enquêté sur la mort d’Anaïs, l’a écrit noir sur blanc dans son rapport de mars 2020 : il faut construire un trottoir dans le cœur du village de Saint-Flavien, où se trouve l’école, pour sauver des vies.

Mais après un long combat, Jacinthe Latulippe se rend à l’évidence : il n’y aura pas de trottoir à Saint-Flavien. Le ministère des Transports et de la Mobilité durable ne veut pas le construire, même si la rue Principale, où Anaïs est morte, est une route à numéro qui est de son ressort. L’État renvoie la balle à la municipalité.

Saint-Flavien, plutôt que de respecter la recommandation de la coroner, a choisi de soumettre la question à un référendum en septembre 2021. La majorité a refusé le trottoir et la facture qui venait avec. Selon des calculs de la municipalité, il en aurait coûté 88 $ par année par propriété, durant 25 ans, pour éponger l’emprunt.

« Un trottoir ne devrait pas être un luxe. Il faut arrêter de voir ces accidents comme des incidents malheureux. C’est évitable. Il faut un meilleur aménagement », implore la mère, que le résultat du référendum a atterrée.

 Ç’a été dur pour nous de nous relever de ça. Ç’a été démotivant. J’ai été désillusionnée. J’ai eu un affect plat pendant plusieurs mois.

Jacinthe Latulippe, à propos du résultat du référendum

Elle lance une pétition

Si la mère d’Anaïs parle à La Presse aujourd’hui, c’est qu’elle espère l’aide du public pour forcer le gouvernement « à prendre ses responsabilités ». Elle pense que le ministère des Transports devrait systématiquement construire des trottoirs dans les secteurs urbanisés de ses routes à numéro, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Jacinthe Latulippe lance aujourd’hui une pétition avec Piétons Québec et Accès transports viables, qui s’intitule « Pour le droit des enfants de marcher en sécurité ».

Consultez le site de la pétition

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Sandrine Cabana-Degani, directrice générale de Piétons Québec

« C’est fâchant », lâche au bout du fil la directrice générale de Piétons Québec, Sandrine Cabana-Degani, en faisant allusion à ce drame et à la réponse des autorités.

Ce qu’on constate dans toute cette histoire-là, c’est qu’il faut que le ministère des Transports prenne ses responsabilités. Ce n’est pas normal qu’il laisse aux municipalités le choix d’aménager ou non un trottoir sur des rues principales qui sont en fait des routes du Ministère.

Sandrine Cabana-Degani, directrice générale de Piétons Québec

Elle note que Québec ne rechigne pas à élargir ses routes à la demande de municipalités pour accommoder plus de voitures. Mais quand ces mêmes municipalités demandent des trottoirs sur les mêmes routes, Québec refuse de payer.

« Ce n’est pas normal. C’est deux poids, deux mesures », dénonce la directrice générale de Piétons Québec.

« Le ministère des Transports du Québec a changé de nom. Il s’appelle maintenant ministère des Transports et de la Mobilité durable, dit-elle. Il a adopté une politique de mobilité durable dans laquelle il s’engage à prendre en compte les besoins des piétons et des cyclistes dans les périmètres urbains. On demande qu’il passe de la parole aux actes. »

Souvenirs douloureux

La mort de la petite Mariia Legenkovska sur le chemin de l’école à Montréal en décembre a ravivé des souvenirs douloureux dans la famille d’Anaïs Renaud.

« On savait qu’une autre famille allait passer par le même chemin que nous. C’est absurde comme décès, ça n’a pas de sens », lâche Jacinthe Latulippe.

Puis s’est organisée une mobilisation de centaines de parents à travers le Québec pour la sécurité des piétons autour des écoles. Ça lui a redonné un peu d’espoir, après cinq ans de « désillusions ».

Une autre manifestation nationale est prévue devant les écoles le 15 mars. Jacinthe Latulippe compte y être. Elle prévoit manifester devant l’école primaire de Saint-Flavien. Celle où sa fille se rendait il y a cinq ans. Celle qui n’a toujours pas de trottoir.