Tom Tran parle vietnamien, français et anglais. À la maison ? « C’est surtout français parce que ma conjointe est cambodgienne, explique-t-il. On se parle en français et en anglais. Avec notre fille, on parle français. »

Carmen Megia, elle, parle deux langues, espagnol et français. Mais ses enfants en maîtrisent trois. En plus de l’espagnol, ils parlent français et anglais. « Moi, je parle plus espagnol, dit-elle. Mais eux parlent plus français et anglais. »

Comme Tom et les enfants de Carmen, de plus en plus de gens sont trilingues à Montréal et disent parler de nombreuses langues dans la vie de tous les jours. Certains ont même des langues maternelles multiples.

Selon les plus récentes données tirées du recensement 2021 de Statistique Canada, obtenues à la demande de La Presse, 23,7 % de la population parle au moins trois langues à Montréal.

Il s’agit d’une augmentation importante par rapport au recensement de 2016, où ce pourcentage était de 21,1 %. En 2001, première année pour laquelle ces données sont disponibles, il était de 16 %.

Un trilinguisme aussi élevé fait de Montréal une ville unique au Canada et probablement en Amérique du Nord, selon le PDG de Montréal International, Stéphane Paquet.

« Pour nous, dit-il, ça fait partie de ce qui distingue Montréal du reste du Canada, du reste de l’Amérique. Puis, ça fait partie de qui on est et des avantages pour des entreprises, pour des individus, pour des organisations internationales de choisir Montréal au lieu de choisir une autre ville. »

Il cite l’agence onusienne ONU-Habitat qui a choisi de s’établir à Montréal, notamment parce qu’on y parle français. « C’est assurément un plus pour nous qui tentons d’attirer des individus, des entreprises et des organisations internationales. »

Les autres grandes villes canadiennes comptent toutes moins de personnes pouvant parler trois langues. À Toronto, la proportion de trilingues est de 13,5 %, selon Statistique Canada. Elle est de 13,3 % à Ottawa-Gatineau, de 11,8 % à Vancouver et de 8,7 % à Calgary. Et dans beaucoup de ces villes, la combinaison des trois langues est différente et n’inclut pas nécessairement le français.

Pourquoi y a-t-il autant de personnes trilingues à Montréal ?

« N’importe qui peut débarquer en Amérique du Nord, hors Québec, et garder sa langue maternelle et apprendre l’anglais, explique M. Paquet, de Montréal International. Au Québec, comme la société d’accueil est francophone, la personne qui débarque ici va aussi apprendre le français. »

Montréal est officiellement une ville francophone dont la langue publique commune régie par les lois linguistiques est le français. Mais, dans les faits, c’est une ville bilingue en raison de la présence historique des deux communautés, francophone et anglophone.

« Il y a deux langues publiques communes à Montréal, surtout à l’ouest du boulevard Saint-Laurent et de plus en plus dans le Plateau Mont-Royal », observe Jean-Pierre Corbeil, professeur associé au département de sociologie de l’Université Laval.

« Tous ceux qui arrivent chez nous comprennent bien que le français et l’anglais sont maîtrisés par une très forte proportion de la population, et que c’est encore plus élevé à Montréal. Donc, on peut dire qu’à Montréal, il y a deux langues de convergence et pas une seule, alors qu’à Toronto, Calgary, Vancouver, Regina, la langue de convergence, c’est l’anglais. »

Signe de l’attrait des deux langues, près d’un Montréalais sur dix cite le français et l’anglais à égalité quand on leur demande d’identifier leur première langue officielle parlée à la maison ou dans l’espace public.

M. Corbeil ajoute que Montréal, « c’est un peu comme un laboratoire » au Canada et dans le monde.

« On ne retrouve pas beaucoup d’endroits comme ça où il y a autant d’individus qui peuvent parler au moins trois langues sur un même territoire, affirme-t-il. Ça confronte notre fameuse segmentation traditionnelle où on disait qu’il y a des francophones, des anglophones et des allophones. Si, au lieu de mettre l’accent sur des groupes linguistiques, on met l’accent sur l’usage des langues, ça devient fascinant parce qu’on se rend compte qu’il y a des gens qui utilisent deux, trois langues dans une même journée. »

Le bilinguisme augmente d’environ deux points de pourcentage à Montréal tous les cinq ans, dit M. Corbeil.

Selon le dernier recensement, la proportion de la population pouvant soutenir une conversation dans deux langues ou plus, qu’elles soient officielles ou non officielles, était de 69,8 % à Montréal, de 56,1 % à Toronto et de 53,1 % à Vancouver.

« Plus spécifiquement, le taux de bilinguisme français-anglais était de 56,4 % à Montréal, de 7,4 % à Toronto et de 6,5 % à Vancouver selon le recensement de 2021 », note Étienne Lemyre, analyste à Statistique Canada.

Parmi les immigrants admis de 2016 à 2021 qui résident à Montréal, 85,6 % pouvaient soutenir une conversation dans deux langues ou plus, officielles ou non officielles, et 43,3 % parlaient français et anglais.

Avec la collaboration de Pierre-André Normandin, La Presse

En savoir plus
  • 7,2 %
    Proportion des Montréalais qui ont plus d’une langue maternelle
    SOURCE : Statistique Canada
    8,8 %
    Proportion des Montréalais qui parlent de nombreuses langues à la maison
    SOURCE : Statistique Canada