Quand les entraves routières se multiplient et que les livraisons des Fêtes pressent, la tentation de couper les coins rond peut être forte pour les camionneurs montréalais. Ce qui peut mettre en péril les autres usagers de la route. Mais la police des poids lourds veille au grain. La Presse a passé une journée cette semaine en patrouille avec deux de ses agents.

« Wow! Je n’ai jamais vu ça. »

Le contrôleur routier Steve Etheart inspecte le camion de James Plante, qui vient de perdre son chargement rue Notre-Dame. La structure de métal qu’il transportait a heurté un pont d’étagement ferroviaire avant de tomber sur un camion-citerne rempli de diesel. Résultat : un léger déversement et deux camions endommagés.

« Ça a levé, ça a springé dans ma porte qui est rendue tout croche, c'est sorti, ça s’est étendu et c’est allé chercher son truck à lui », décrit M. Plante, qui s’est lui-même identifié. « C’est la première fois en trente quelque années. »

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L’agent Steve Etheart explique que « les conducteurs sont souvent pressés », notamment car beaucoup sont payés au voyage.

« Là, on attend. Il faut qu’ils écrivent leur série de tickets », ajoute-t-il, avant de répondre à un appel téléphonique de son patron, un recycleur de métaux.

Hauteur excessive, chargement mal attaché, système d’amarrage brisé : M. Plante a pris des risques inconsidérés en se lançant sur la route au volant de son camion. Car le bilan aurait pu être beaucoup plus funeste.

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L’agent Steve Etheart à côté d’une pièce éjectée d’un camion après qu’il a heurté un pont d’étagement ferroviaire avec son chargement.

Si ça avait été une auto, elle aurait été écrasée.

Jonathan Beauvais, lieutenant, au sujet d’un camion qui a perdu son chargement

Le conducteur du camion-citerne, pour sa part, « a été chanceux que ça ne traverse pas son pare-brise », ajoute l’agent Etheart.

Et c’est sans parler des piétons ou des cyclistes, qui auraient probablement été tués sur le coup. Malheureusement, les contrôleurs routiers connaissent bien ce genre de drames : ils sont presque systématiquement appelés lorsqu’un accident impliquant un camion fait un blessé grave ou un mort.

« Je suis plus capable d’entendre les camions »

Quand la pression se fait sentir, quand les trajets s’allongent, la tentation de couper les coins ronds s’accroît pour les camionneurs qui circulent sur l’île de Montréal.

Raccourcis à travers des zones résidentielles, heures de conduite dépassées, feux rouges brûlés, camions trop lourds, inspections négligées : c’est le quotidien des 300 contrôleurs routiers de la province, la « police des camions ». Ils interceptent environ 100 000 véhicules chaque année et remettent environ 30 000 constats d’infraction.

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L’agent Steve Etheart procède à une vérification des pneus.

Et les agents qui patrouillent à Montréal en voient de toutes les couleurs. La veille, des contrôleurs avaient intercepté une vieille ambulance apparemment recyclée en pompe mobile pour voler de l’essence.

Le lieutenant Jonathan Beauvais nuance : la plupart des camionneurs – surtout ceux qui font de longues distances – ont une vraie éthique de travail. « Même si nous, on les intercepte beaucoup, les conducteurs, ce sont des conducteurs professionnels, dit-il. Il y a quand même beaucoup de camions qui circulent sur les routes et des accidents, il y en a, mais il n’y en a pas tant que ça. Il y a une surreprésentation du camion dans les accidents mortels à cause de la grosseur du véhicule. »

Le véhicule de patrouille se poste vers le coin des rues Haig et Sherbrooke, à l’entrée d’un quartier résidentiel interdit au camionnage. Il sert toutefois de raccourci illégal aux conducteurs qui veulent éviter la congestion engendrée par les travaux au pont-tunnel, situé tout près.

« Il y en avait beaucoup, il y a un mois, un mois et demi, quand [le chantier] venait de commencer », explique Steve Etheart, les yeux rivés sur la route. « On était deux ou trois [véhicules de patrouille] et ça tournait ! »

Quelques heures plus tard, c’est au coin de la rue Sherbrooke et de la 25e Avenue que les patrouilleurs s’installeront. « Une dame appelle au bureau pour nous : “Je ne suis plus capable d’entendre les camions passer” » dans une rue qui leur est pourtant interdite.

Tout est calme pour le moment. Clignotants activés, le camion d’un grossiste en fruits et légumes n’attend qu’un feu vert pour tourner illégalement. Il remarque la présence des contrôleurs routiers et change de voie à la dernière seconde.

En plus du dossier James Plante, Steve Etheart et Jonathan Beauvais remettront seulement deux constats d’infraction ce jour-là, au coin de Marien et de la Métropolitaine : un feu rouge brûlé et une manœuvre illégale. Le conducteur d’une remorque transportant des autos a reçu un avertissement, car l’amarrage de l’un des véhicules s’est décroché sur la route.

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Le lieutenant Jonathan Beauvais découvre un véhicule mal arrimé sur une plateforme.

« Les conducteurs sont souvent pressés », explique l’agent Etheart. De nombreux camionneurs sont payés au voyage et sont parfois prêts à prendre des risques pour augmenter leur chèque de paie. Ceux qui possèdent leur propre camion ont des paiements importants à effectuer. D’autres sont carrément négligents.

Opération COP15

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Idéalement, les contrôleurs routiers tentent d’empêcher a priori la commission des infractions.

Idéalement, les contrôleurs routiers tentent d’empêcher a priori la commission des infractions. Depuis deux semaines, plusieurs sont postés aux entrées du tunnel Ville-Marie – avec une foule de policiers – afin d’intercepter les véhicules transportant des matières dangereuses. Celles-ci sont toujours interdites dans les tunnels, mais la rencontre de la COP15 juste au-dessus du tunnel, au Palais des congrès, rend le respect de l’interdiction encore plus critique.

« C’est une grosse opération », avait indiqué le capitaine Éric Gauvreau, le matin même, au début du quart de travail.

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L’agent Steve Etheart et le lieutenant Jonathan Beauvais surveillent l’entrée du tunnel Ville-Marie en raison de la COP15.

Steve Etheart enfonce l’accélérateur. Avec un collègue, il part à la poursuite du véhicule d’un entrepreneur spécialisé dans la gestion des batteries – un métier qui implique souvent l’utilisation de substances dangereuses – qui s’engage dans le tunnel avec une remorque. « Dans ce cas-ci, il est tout à fait conforme », conclut le lieutenant Beauvais après avoir inspecté la cargaison.

Un peu plus tard, des collègues intercepteront une cantine mobile immatriculée en Ontario et transportant une quantité de propane beaucoup plus importante que celle qui est autorisée dans un tunnel. Elle sera remorquée.

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    Nombre de décès moyen, par année, dans des accidents impliquant un véhicule lourd. Cela représente 23 % des décès déplorés sur la route alors que les camions représentent 4 % des véhicules.
    SOURCE : SAAQ, années 2016-2020