Le ministère des Transports du Québec (MTQ) et l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) en font-ils trop peu pour le covoiturage urbain ? Une entreprise spécialisée dans le domaine croit que oui, dénonçant le caractère « opaque » des discussions sur les mesures d’atténuation entourant la fermeture partielle du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine.

« C’est silence radio. On n’a jamais de réponse positive ou négative. » Au bout du fil, le président de Netlift, Marc-Antoine Ducas, ne décolère pas. Il déplore que son entreprise, pourtant recommandée par Québec dans ses « plans B » pour éviter la congestion, ne soit pas impliquée dans les discussions entourant les mesures d’atténuation sur les chantiers.

Même la fermeture partielle du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine n’a pas changé la teneur des discussions, selon lui. « On présente des propositions chiffrées, on est des opérateurs, donc on sait ce qui va marcher ou pas. Mais comme il n’y a pas de [suite], on n’avance pas. Et on essaie de comprendre ce qui justifie ce silence », poursuit l’homme d’affaires.

Son entreprise a notamment envoyé une note de breffage sur le tunnel au sous-ministre adjoint aux Transports Jean Séguin en septembre, faisant valoir que la fermeture de trois voies sur six « était prévisible et évitable ». « Il est incompréhensible pour la population et les employeurs qu’à quelques jours de la fermeture du tunnel, il n’y ait pas davantage de mesures de mitigation », y affirme Netlift.

Une solution « clés en main » — une adaptation de Netlift et de son application mobile de covoiturage urbain – a été proposée à l’ARTM dès le 7 septembre, montrent les documents obtenus par La Presse.

Netlift a aussi répondu plus récemment, le 17 octobre, à un appel d’offres de prix de l’ARTM afin de développer un « projet pilote de covoiturage dynamique » dans le cadre des travaux au tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. « C’est au point mort », confirme Marc-Antoine Ducas, dont l’entreprise a pour clients des dizaines d’organisations, dont des CIUSSS et de grands manufacturiers montréalais. « Pendant ce temps-là, chaque jour, en ce moment, on reçoit entre quatre et cinq nouvelles demandes », dit le fondateur de Netlift.

Québec et l’ARTM restent prudents

Appelé à réagir, le ministère des Transports s’en est tenu à un commentaire laconique. « Le MTQ a mandaté l’ARTM pour mettre en place le processus de mise en œuvre d’une application de covoiturage. Il faut communiquer avec elle pour avoir des informations sur l’appel d’offres et le processus contractuel », nous a répondu la porte-parole du Ministère, Sarah Bensadoun.

À l’ARTM, le porte-parole Simon Charbonneau fait valoir que « le travail est en cours » en vue d’une livraison « au début de l’hiver 2023 » d’une plateforme de covoiturage. « La concertation avec les partenaires du milieu du transport concernés a lieu. […] Des entreprises spécialisées, dont Netlift, ont été sollicitées », détaille-t-il, confirmant aussi avoir reçu une proposition de Netlift le 17 octobre. « Nous serons en mesure de confirmer publiquement le nom de l’attributaire prochainement », indique-t-il.

Chez Voyagez Futé, centre de gestion des déplacements créé en 2002 à l’initiative du MTQ pour faciliter les contacts entre l’industrie et le gouvernement, la directrice générale, Aline Berthe, confirme avoir été mandatée « cet automne » pour sonder l’opinion de plusieurs entreprises, en vue des mesures d’atténuation.

« Les autorités sont intensément en action pour mettre en place des mesures de mitigation. Mais oui, peut-être qu’elles ne répondent pas à certains fournisseurs autant qu’ils le voudraient. Et peut-être aussi que certains auraient aimé que ça soit fait plus tôt », explique-t-elle en entrevue.

En même temps, il aurait pu y avoir aussi une anticipation de certains groupes, pour venir vers nous. On est là pour ça.

Aline Berthe, directrice générale de Voyagez Futé

« On dirait que des fois, il faut avoir un peu le couteau sur la gorge. Quand il y a une urgence, l’humain réagit un peu plus promptement. Mais en même temps, si le MTQ nous avait mandatés un an d’avance, je ne sais pas si ça aurait changé quelque chose, honnêtement », poursuit Mme Berthe.

Une experte appelle à ouvrir le dialogue

La titulaire de la Chaire Mobilité de Polytechnique Montréal, Catherine Morency, dit quant à elle « comprendre » les doléances de Netlift. « Ils ont raison de se demander pourquoi ils ne sont pas davantage consultés, pourquoi ils ne font pas réellement partie de l’équipe. C’est bien triste, ce qui se passe », dit-elle.

« Le système, en ce moment, n’est pas efficace. C’est une absurdité qu’il n’y ait pas de planification plus intégrée des défis en mobilité. C’est la même chose pour le REM : on apprend tout dans une obscurité qui est vraiment agaçante. Ça donne l’impression que le transport peut être une affaire de négociations, alors que ça devrait être une affaire de science », ajoute Mme Morency.

En matière de covoiturage urbain, la réalité, selon la professeure, est que chaque plateforme « a besoin d’amis ». « Les algorithmes existent, on est capables de faire du couplage de navetteurs, mais il faut toujours avoir une alternative qui vient avec, pour que ça soit moins stressant de prendre le covoiturage. Et pour ça, il faut analyser la chaîne complète, ce qu’on ne fait pas actuellement », souligne Mme Morency. « On met rarement l’usager au cœur du problème dans les discussions. C’est ça, le problème », conclut la spécialiste.