La réouverture prochaine d’un abri d’urgence pour les personnes en situation d’itinérance divise des citoyens d’un secteur résidentiel de l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension.

Logé au sous-sol de l’église Notre-Dame-du-Saint-Rosaire, le projet d’abri de Villeray piloté par le Refuge Cœur de l’île permet à une cinquantaine de personnes de passer la nuit au chaud durant les mois d’hiver.

« Notre objectif est que les gens en situation d’itinérance puissent avoir un break, explique Romain Petit, coordonnateur du Refuge Cœur de l’île. Les gens viennent passer la nuit ici sur un lit de camp, peuvent prendre une douche, se réchauffer. »

Les personnes intoxiquées à l’alcool ou aux drogues peuvent y trouver un lit, « pourvu qu’elles adoptent un comportement respectueux des autres », dit-il.

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Romain Petit, Oscar Velasquez et Maxime Bonneau

L’abri était en activité au même endroit l’hiver dernier. Durant cette période, des résidants du secteur disent avoir vu une hausse des incivilités devant l’église, dans les rues avoisinantes et près de l’école primaire voisine durant la journée, quand le refuge était fermé.

« Il y avait de l’itinérance dans Villeray avant, mais quand l’abri est ouvert, c’est le jour et la nuit », dit Simone (prénom fictif), une mère de famille qui habite le secteur et qui demande à garder l’anonymat pour pouvoir s’exprimer sur un sujet controversé qui touche au sentiment de sécurité de sa famille.

Des citoyens ont aperçu des gestes de nature sexuelle commis près de l’église, et des seringues ont été retrouvées près d’un commerce, rapporte Simone, une situation qui illustre les tensions générées par le déplacement de l’itinérance, qui sort de plus en plus du centre-ville.

Le sentiment de sécurité dans le quartier est en baisse, croit aussi une commerçante du secteur, qui ne souhaite pas non plus être identifiée.

« L’an dernier, un itinérant m’a donné un violent coup de pied dans le ventre quand je lui ai demandé de sortir, dit-elle. Depuis, j’ai peur. Le problème, c’est qu’ils n’ont nulle part où aller dans la journée, alors ils sont dans le coin, dans les commerces… Je comprends les besoins, et je suis en faveur d’aider les gens, mais l’encadrement est absent, et ce sont les commerçants et les résidants qui en font les frais. »

Cet automne, Simone et des voisins ont distribué des dépliants sur l’enjeu de l’abri d’urgence dans le voisinage et lancé un groupe Facebook, où le débat s’est vite enlisé, dit-elle.

Certaines personnes sont 100 % pour, d’autres 100 % contre… Personnellement, je ne suis pas contre, il faut juste trouver une façon de mieux communiquer et de trouver des solutions.

Simone (prénom fictif)

Elle sait que son initiative peut être perçue comme du « pas dans ma cour » par certains.

« On est à Villeray, on vote Québec solidaire, c’est wokeland ici. Mais quand tu as peur de rentrer chez toi seule le soir… Tu te dis qu’il faut que ça change. »

Quitter le centre-ville

Kathleen Levesque, porte-parole de l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, note que l’arrondissement est au courant des tensions vécues par des citoyens.

« Une rencontre est prévue la semaine prochaine avec tous les intervenants du dossier, dit-elle. On a des échanges réguliers avec le comité de citoyens. On va évaluer certaines solutions. C’est un enjeu qui nous tient à cœur. »

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L’intérieur de l’abri d’urgence pour les personnes en situation d’itinérance situé dans le sous-sol de l’église Notre-Dame-du-Saint-Rosaire

L’organisme Refuge Cœur de l’île dit souhaiter garder son abri dans le sous-sol de l’église Notre-Dame-du-Saint-Rosaire pendant encore un an et demi, et aimerait trouver un autre local par la suite, note Maxime Bonneau, président du conseil d’administration du refuge et directeur de l’organisme PACT de rue.

Le sous-sol de l’église est sombre, il n’y a pas vraiment de lumière de l’extérieur qui entre ici. À long terme, on aimerait faire durer l’abri, mais pas nécessairement ici.

Maxime Bonneau

Des ressources pour les personnes en situation d’itinérance doivent aussi être situées à l’extérieur du centre-ville, dit Oscar Velasquez, coordonnateur clinique à l’abri de Villeray. « Des gens veulent quitter le centre-ville, justement pour s’éloigner de la consommation, ou pour ne pas retomber dans les mêmes schémas. »

Maxime Bonneau dit être prêt à répondre aux inquiétudes des gens du voisinage, mais dit ne pas avoir été contacté l’hiver dernier par des citoyens inquiets quand des problèmes ont été vécus.

« Si on ne nous dit pas quelles sont les inquiétudes, comment on peut changer les choses ? », demande-t-il.

La Finlande est en voie d’éliminer l’itinérance

Il y a 30 ans, on comptait 16 000 personnes en situation d’itinérance à Helsinki, capitale de la Finlande. Cet été, il n’y en avait plus que 2000. Un chiffre qui inclut les gens qui habitent chez des proches ou de la famille : dans les faits, le nombre de personnes qui dorment dans la rue en Finlande est pratiquement à zéro. Comment la Finlande s’y est-elle prise ? Contrairement à l’approche traditionnelle de fournir de l’hébergement temporaire, la Finlande a lancé un projet national appelé « Housing First » (le logement d’abord) visant à fournir rapidement et de façon permanente un appartement aux personnes en situation d’itinérance. Le gouvernement a construit des milliers de logements neufs. « L’expérience finlandaise démontre l’efficacité de la lutte contre l’itinérance par une combinaison d’aide financière, de services d’accompagnement intégrés et d’une offre plus importante de logements, note une récente analyse de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Utiliser un seul de ces leviers a peu de chances de fonctionner. »