Alors que l'édifice patrimonial de l'hôtel de ville de Montréal doit faire l'objet d'importants travaux et qu'un intense débat sur les signes religieux secoue le Québec, la métropole doit décider si elle laissera en place la croix qui trône dans la salle du conseil municipal.

Beaucoup moins médiatisé que son cousin de l'Assemblée nationale, le crucifix de l'hôtel de ville a pourtant été installé à la même époque, soit en 1937. Depuis, il n'a jamais été remplacé ou déplacé, contrairement à celui de Québec qui a été remplacé par un autre en 1982.

Tout cela changera bientôt alors que l'hôtel de ville doit faire l'objet d'un chantier de trois ans. Montréal prévoit pour 140 millions de dollars de travaux dans cet édifice patrimonial, de juin prochain à l'été 2022. Durant cette période, l'intérieur du bâtiment devra être complètement vidé, crucifix inclus.

Pendant le chantier, les élus siégeront dans un bâtiment voisin, l'édifice Lucien-Saulnier. La présidente du conseil, Cathy Wong, doit ainsi décider si elle déménagera le crucifix dans la salle où délibéreront les élus montréalais pendant les trois prochaines années. Et reviendra-t-il dans la salle du conseil à la fin des travaux à l'hôtel de ville?

Nos demandes d'entrevue avec Mme Wong ont été déclinées. Le bureau de la présidence a simplement indiqué qu'«aucune décision n'est arrêtée à ce sujet».

«Est-ce qu'on veut un débat de politiciens ou veut-on que la discussion soit éclairée par la science?», lance Dinu Bumbaru, d'Héritage Montréal. Celui-ci souhaite que la Ville demande un avis au Conseil du patrimoine de Montréal pour établir la place du crucifix dans l'aspect patrimonial du bâtiment.

M. Bumbaru juge la question d'autant plus pertinente que si l'on retire le crucifix, qu'adviendra-t-il des imposants vitraux qui ornent la salle du conseil et sur lesquels la croix apparaît aussi ?

Le Conseil du patrimoine vient d'émettre un avis sur les travaux prévus à l'extérieur de l'hôtel de ville. Il n'a toutefois pas encore été invité à se prononcer sur les travaux prévus à l'intérieur. Reste ainsi à savoir si la place occupée par le crucifix fera partie de l'analyse.

Pas de mention du crucifix

Construit en 1878, l'hôtel de ville bénéficie d'une triple reconnaissance patrimoniale. D'abord, Ottawa lui a accordé le statut de «lieu historique national du Canada». Son inscription ne mentionne pas le crucifix. On précise simplement que «l'intérieur, refait après l'incendie de 1922, se distingue par la magnificence de son hall d'honneur et de sa salle de conseil, qui comptent parmi les plus richement décorés au Canada».

L'inscription dans le répertoire patrimonial de la Ville ne mentionne pas non plus la présence du crucifix, mais on y souligne toutefois la valeur des vitraux. «Dans la salle du conseil, cinq hautes verrières aux couleurs vives, de facture moderne, représentent divers visages de la ville des années 1920.»

La question du crucifix est d'autant plus délicate que le gouvernement de François Legault prévoit déposer prochainement un projet de loi sur la laïcité. Les signes religieux seront interdits chez les juges, policiers, gardiens de prison et enseignants, mais pas chez les élus.

La Coalition avenir Québec a d'ores et déjà annoncé qu'elle n'entendait toutefois pas retirer le crucifix qui trône à l'Assemblée nationale, considérant que celui-ci fait partie du patrimoine. Le premier ministre Legault a aussi indiqué cette semaine qu'il laissait aux écoles le soin de décider si elles conservent ou pas les crucifix en fonction de leur valeur patrimoniale.

Moins visible

Si le crucifix de l'hôtel de ville n'a jamais changé de place, la disposition de la salle où il se trouve a pour sa part été modifiée à deux reprises. Ces changements ont fait en sorte que le signe religieux est aujourd'hui beaucoup moins visible qu'à l'origine.

En 1937, la croix avait été installée au-dessus de la chaise du président, tout comme à l'Assemblée nationale. Assis en hémicycle, les élus lui faisaient donc face.

Mais en 1963, la configuration de la salle a été modifiée pour ressembler davantage à celle de l'Assemblée nationale. Le siège de la présidence, qui se trouvait au sud, a été déplacé du côté ouest. Du coup, la moitié des élus se trouvait dos à la croix.

Puis en 1992, lors du 350e anniversaire de la fondation de Montréal, le conseil municipal a retrouvé sa configuration en hémicycle. Le siège de la présidence n'a toutefois pas été remis du côté sud, mais plutôt du côté nord. Le crucifix ne se trouve donc pas au-dessus de la présidente, Cathy Wong, mais fait désormais dos à l'ensemble des élus municipaux.

L'Origine du crucifix

C'est un conseiller municipal, Joseph-Émile Dubreuil, qui avait demandé en 1937 que le crucifix soit ajouté à la salle du conseil «afin que les échevins se souviennent des serments qu'ils ont prêtés». Cet ancien élu a été échevin de 1932 à 1954. Il a aussi été député provincial de 1939 à 1948 sous la bannière du Parti libéral.

C'est en 1936 que le crucifix a fait son apparition à l'Assemblée nationale, à la demande de Maurice Duplessis. M. Dubreuil était un fervent catholique, s'impliquant dans le conseil de fabrique de sa paroisse, où il siégeait comme marguillier.

L'installation du crucifix à l'hôtel de ville avait fait l'objet d'une cérémonie à l'époque. Les archives de la Ville de Montréal indiquent que la croix avait été bénie par l'abbé Oscar Valiquette, qui agissait alors comme aumônier des pompiers et des policiers de Montréal. Le curé de Notre-Dame, Louis Boubier, était également présent à cette cérémonie.