Le Fonds mondial pour la nature (WWF) se retrouve sur la sellette à la suite de la publication d'une enquête de longue haleine suggérant qu'il a formé et financé dans plusieurs pays des « unités antibraconnage » responsables de graves exactions.

Dans un communiqué publié il y a quelques jours, l'importante organisation écologiste a signalé qu'elle entendait confier à une firme « indépendante » la tâche de revoir les cas soulevés par les révélations du site BuzzFeed.

« Nous avons des politiques contraignantes en place qui visent à garantir que les droits et le bien-être des populations autochtones et des communautés locales où nous travaillons sont protégés. Toute dérogation à ces politiques est inacceptable », a indiqué la WWF.

La section canadienne de l'organisation n'a pas donné suite hier à nos demandes d'entrevue.

Les journalistes à l'origine de l'enquête affirment que des « unités antibraconnage » soutenues par l'organisation écologiste ont eu recours à une violence injustifiée dans une demi-douzaine de pays où ont été aménagés des parcs protégés.

« Des villageois ont été frappés avec des ceintures, attaqués avec des machettes, assommés à coups de bambou, agressés sexuellement, tirés et tués », lit-on dans le reportage de BuzzFeed.

Des représentants de WWF en Asie et en Afrique, ajoute BuzzFeed, ont financé et organisé des raids contre des villages soupçonnés d'héberger des braconniers en faisant appel à des « troupes de choc connues pour leur caractère vicieux ».

Parmi les cas mis en relief figure celui d'un ressortissant népalais appréhendé en 2006 par l'unité antibraconnage du parc de Chitwan, qui était soutenue par la WWF. L'homme, soupçonné d'avoir aidé son fils à cacher une corne de rhinocéros, est mort en détention après avoir été battu à répétition par les gardiens.

L'un d'eux s'est félicité par la suite dans un livre de recourir à la simulation de noyade pour faire parler les suspects de braconnage.

Allégations « choquantes »

En Grande-Bretagne, plusieurs élus ont réagi vivement à l'enquête en demandant au gouvernement de faire toute la lumière sur les pratiques de WWF.

Le département du Développement international britannique, qui le soutient financièrement, a promis de « suivre de près » l'évolution de l'enquête indépendante annoncée.

Plusieurs élus américains ont aussi demandé que les allégations « choquantes » de BuzzFeed soient passées au crible.

« Je soutiens avec énergie la lutte pour empêcher le braconnage, mais cette campagne ne doit pas se faire au détriment de la santé, de la sécurité ou de la vie de civils innocents », affirme Eliot Engel, qui chapeaute la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants du Congrès américain.

L'organisation non gouvernementale Survival International, qui défend les droits des communautés autochtones, avait dénoncé en 2016 devant l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) des violences perpétrées contre des Pygmées au Cameroun par une unité antibraconnage soutenue par WWF.

Fio Longo, une recherchiste de Survival International qui travaille souvent sur le terrain, note en entrevue qu'elle n'est pas du tout surprise par les conclusions de BuzzFeed.

« Ça fait 20 ans que nous documentons ce type d'abus et que nous tentons de faire changer les choses, incluant par les mécanismes de signalement de WWF, mais ils nous ignorent », souligne Mme Longo, qui a notamment documenté le cas d'un enfant de 10 ans tué par un gardien au Congo il y a quelques années.

Les dirigeants de WWF, déplore-t-elle, sont convaincus qu'ils savent mieux que les communautés autochtones comment protéger les animaux menacés et cherchent à imposer leur façon de faire plutôt que de travailler en coopération avec elles pour gérer les ressources naturelles.

Le recours à des gardiens lourdement armés ne constitue pas une solution au braconnage pratiqué par des groupes criminels et alimente les abus envers les civils, qui sont souvent pris à partie sans raison, relève Mme Longo.

« La militarisation ne règle rien nulle part », conclut-elle.