Au moment où le réchauffement planétaire s’accélère, l’idée de manipuler le climat de notre planète apparaît de plus en plus séduisante pour certains experts. Un débat qui divise cependant la communauté scientifique quant aux éventuelles percées de la géoingénierie. Faut-il tout miser sur la technologie pour compenser notre échec collectif à réduire nos émissions de gaz à effet de serre ?

L’idée en soi n’est pas nouvelle. La nature offre elle-même des exemples de géoingénierie qui peuvent s’avérer très efficaces pour ralentir la hausse des températures sur Terre. C’est le cas notamment des volcans : lors d’une éruption, le panache de cendres peut contribuer à refroidir l’atmosphère en bloquant les rayons du Soleil.

L’éruption du Pinatubo, aux Philippines, en 1991, avait ainsi entraîné une baisse de la température mondiale de 0,5 °C en 1992. Mais elle avait aussi tué des centaines de personnes, déplacé des milliers d’autres tout en frappant durement l’économie du pays, faut-il souligner.

Dans une série d’articles publiés sur le thème « Gagner du temps » (Buying time), le journaliste Christopher Flavelle, du New York Times, s’est intéressé récemment aux nouvelles percées de la géoingénierie. L’idée avancée par certains scientifiques, c’est qu’il faut se donner plus de temps pour réduire nos émissions polluantes alors qu’il est presque certain qu’il sera impossible de limiter le réchauffement à 1,5 °C, voire 2 °C au-dessus du niveau enregistré au début de l’ère préindustrielle.

Dans cette optique, le recours à la géoingénierie serait temporaire, le temps justement de procéder aux changements nécessaires dans nos sociétés pour atteindre la carboneutralité. Un exemple serait de relâcher des aérosols dans l’atmosphère pour bloquer les rayons solaires. Une stratégie, comme d’autres, qui est loin de faire l’unanimité cependant.

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Centrale électrique au charbon à Pékin

Deux camps s’opposent

En janvier 2022, une soixantaine de chercheurs ont publié un projet d’accord de non-utilisation de la géoingénierie solaire, qui a recueilli depuis l’appui de plus de 500 scientifiques partout dans le monde, dont le climatologue Michael Mann.

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Le climatologue Michael Mann

Leur argument principal, c’est que « le déploiement de la géoingénierie solaire ne peut être régi de manière équitable au niveau mondial et présente un risque inacceptable s’il est mis en œuvre en tant qu’option future de la politique climatique ».

Un an plus tard, en février 2023, une centaine de scientifiques, dont le climatologue américain James Hansen, ont publié une lettre ouverte appelant au contraire à mener plus de recherches sur la géoingénierie. « Le niveau actuel des connaissances sur les interventions de MRS [modification du rayonnement solaire] n’est pas suffisant pour détecter, attribuer ou prévoir leurs conséquences sur les risques climatiques. […] Si nous soutenons pleinement la recherche sur les approches MRS, cela ne signifie pas que nous soutenons l’utilisation des MRS », ont-ils néanmoins précisé dans leur missive.

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Le climatologue James Hansen

On pourrait avoir l’impression que la communauté scientifique est divisée sur cet enjeu, mais ce n’est pas vraiment le cas, estime Alejandro Di Luca, professeur au département des sciences de la Terre et de l’atmosphère à l’UQAM.

Ce n’est pas vraiment divisé en deux camps égaux. La majorité des scientifiques sont dans le camp du non.

Alejandro Di Luca, professeur au département des sciences de la Terre et de l’atmosphère à l’UQAM

« En raison de la complexité du système climatique, c’est l’argument principal pour lequel beaucoup d’entre nous sont très mal à l’aise avec l’utilisation de la géoingénierie », ajoute-t-il. Un enjeu qui lui fait d’ailleurs penser au film Déni cosmique (Don’t Look Up) où les autorités décident de recourir à la technologie pour récupérer les précieux métaux présents sur une comète qui va détruire la Terre. Une stratégie qui mène d’ailleurs à la destruction de notre planète dans cette fiction du cinéaste Adam McKay.

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Le réservoir du lac San Rafael, en Colombie, à sec au début du mois d’avril

Une solution qui n’est pas une panacée

Alain Létourneau, professeur de philosophie de l’Université de Sherbrooke, rappelle que la géoingénierie ne permet pas de s’attaquer au problème, mais plutôt de contrôler les symptômes du changement climatique. « Tout le monde est d’accord sur le fait qu’il faut réduire nos émissions. C’est la chose principale à faire. Mais force est de constater que l’on continue, année après année, d’augmenter la production de gaz à effet de serre », signale-t-il.

C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’il envisage la possibilité de recourir à la géoingénierie. « Si à un moment donné, on avait des outils technologiques qui nous permettent de se donner quelques années de marge de manœuvre supplémentaire pour arriver à une véritable transition, je pense que ce n’est pas non plus une possibilité qui est à rejeter du revers de la main. »

L’envers de la médaille, estime-t-il, c’est de faire croire que la technologie nous éviterait de modifier nos comportements pour atteindre la carboneutralité. À ce sujet, la communauté scientifique semble d’ailleurs unanime : la géoingénierie ne constituerait qu’un outil d’appoint dans la lutte contre les changements climatiques.

En plus des enjeux technologiques, une autre question demeure si nous avions vraiment la possibilité de manipuler le climat : qui décide quoi, où et quand nous avons recours à la géoingénierie ? Le hic, selon Alain Létourneau, c’est que nous ne disposons pas actuellement d’un cadre de gouvernance efficace pour gérer des enjeux à l’échelle planétaire.

Si on n’est même pas capables de gérer la diminution des gaz à effet de serre, puis qu’on n’est pas capables de gérer l’adaptation au changement climatique, alors comment veux-tu qu’on commence à gérer adéquatement l’enjeu du génie climatique ?

Alain Létourneau, professeur de philosophie à l’Université de Sherbrooke

Malgré tout, Alejandro Di Luca et Alain Létourneau reconnaissent qu’on ne devrait pas se priver de faire de la recherche sur les différentes techniques de géoingénierie pour mieux en mesurer les tenants et aboutissants.

« Il y a aussi des dangers à ne pas faire de recherches, alors je suis un peu partagé face à tout ça », admet Alejandro Di Luca. Selon lui, certaines technologies pourraient s’avérer utiles à petite échelle, mais le diable est dans les détails, précise-t-il.

« On voit bien qu’il y a une transition énergétique qui est effectivement en cours. On est en train de faire des choses, fait remarquer Alain Létourneau. On peut penser qu’on pourrait y arriver [réduire nos GES] dans un délai raisonnable, de l’ordre de 20 ans. Mais actuellement, on nous dit qu’on a 10 ans pour le faire. Si on avait des façons de se donner quelques années de plus… »

« Je ne suis pas en train de dire qu’on va faire de la géoingénierie. Ce que je dis, c’est que ça va nous coûter plus cher de ne pas effectuer les recherches adéquates pour bien juger des différentes technologies. Je pense qu’on n’a pas le choix, mais il faut le faire dans la communauté scientifique, en lien avec la communauté démocratique », ajoute M. Létourneau.

Quelques techniques envisagées

Imiter les volcans

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Un panache de fumée s’échappe du volcan de Ruang, en Indonésie, le 18 avril.

L’une des techniques de géoingénierie consiste à imiter les volcans, qui dispersent un panache de cendres lors d’une éruption. En 2022, l’homme d’affaires américain Luke Iseman, fondateur de la société Make Sunsets, a relâché deux ballons dans le ciel, dans la péninsule de la Basse-Californie, au Mexique. Les ballons contenaient du dioxyde de soufre, la substance aussi relâchée par un volcan en éruption. Son expérience a suscité un tollé dans la communauté scientifique.

Faire briller les nuages

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Une expérience a été menée au début du mois d’avril en Californie lorsqu’on a relâché des aérosols à partir de l’eau de mer.

Une expérience a été menée au début du mois d’avril en Californie lorsqu’on a relâché des particules atmosphériques naturelles (bioaérosols et embrun marin). L’objectif du projet piloté par des chercheurs de l’Université de Washington était de rendre les nuages plus brillants afin qu’ils reflètent les rayons du Soleil.

Du fer dans les océans

PHOTO TANVEER BADAL, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Injecter du fer dans les océans pourrait avoir de très sérieuses conséquences pour les écosystèmes marins.

En injectant du fer dans les océans, on stimulerait la production de phytoplancton, ce qui augmenterait la capacité des océans à absorber du CO2. Une idée qui semble toute simple à première vue, mais dont les conséquences pourraient être très sérieuses pour les écosystèmes marins.

Un parasol pour la Terre

Une autre solution imaginée par des astronomes et des physiciens serait de déployer un parasol géant dans l’espace, qui bloquerait ainsi une partie des rayons du Soleil qui réchauffent notre planète.

La danse de la pluie

PHOTO CHRISTOPHER PIKE, ASSOCIATED PRESS

Inondations à Dubai en raison de pluies diluviennes, le 18 avril dernier

Injecter de l’iodure d’argent dans les nuages pour provoquer la pluie constitue une autre variation de la géoingénierie, qui pourrait être utilisée dans le cas d’une importance sécheresse, par exemple. Une technique controversée, que des scientifiques qualifient même de fraude à l’occasion. Après les pluies diluviennes survenues la semaine dernière dans les Émirats arabes unis, des rumeurs ont circulé voulant que le programme d’ensemencement des nuages de l’État arabe serait à l’origine de cette catastrophe. « Il n’existe aucune technologie capable de créer ou même de modifier gravement ce type de précipitation », a déclaré le professeur Maarten Ambaum, de l’Université de Reading, au Royaume-Uni, au média spécialisé New Scientist.