Des données récentes suggèrent que la plus petite des grenouilles présentes au Québec pourrait en réalité être une espèce unique au monde. Or, la rainette faux-grillon est au bord de l’extinction, selon un rapport du ministère de l’Environnement dévoilé en catimini mercredi.

Ce qu’il faut savoir

Un nouveau rapport du ministère de l’Environnement conclut que la moitié des populations de la rainette faux-grillon de l’Ouest ont « disparu ou sont susceptibles de l’être ».

Selon de nouvelles données scientifiques, la rainette faux-grillon présente au Québec pourrait en réalité être une espèce unique au monde.

Le minuscule batracien a été désigné espèce vulnérable au Québec en 2001.

Le déclin des populations de cette espèce s’est poursuivi au cours des 20 dernières années. Québec l’a déclarée espèce menacée en décembre 2022.

Le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) a publié discrètement mercredi un important rapport portant sur la viabilité des populations de la rainette faux-grillon de l’Ouest au Québec. L’analyse conclut que tout près de la moitié des populations de cette espèce « ont déjà disparu ou sont susceptibles de l’être ».

« Au moment de la publication de ce rapport, moins du quart des occurrences [de la rainette faux-grillon] serait en mesure de se maintenir à moyen terme si les conditions demeuraient telles quelles », écrit le biologiste Philippe Lamarre, auteur du document du MELCCFP. « La viabilité de l’espèce à l’échelle provinciale pourrait cependant être sous-estimée du fait que près du tiers des occurrences sont documentées de façon insuffisante », ajoute-t-il.

Selon Alain Branchaud, biologiste et directeur général de la Société pour la nature et les parcs au Québec (SNAP Québec), le rapport est « une illustration de notre échec collectif pour assurer la survie de cette espèce ». M. Branchaud estime par ailleurs qu’il est tout à fait envisageable que l’espère disparaisse dans un horizon de 20 ans, particulièrement en Montérégie.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Tommy Montpetit, directeur de la conservation à l’organisme Ciel et Terre

C’est un constat d’échec global. On est rendus au bord de l’extinction et c’est le gouvernement du Québec lui-même qui le reconnaît.

Tommy Montpetit, directeur de la conservation à l’organisme Ciel et Terre

« Si Québec continue de délivrer des autorisations [pour détruire des milieux humides] au même rythme, ça se pourrait bien que ça prenne moins de 20 ans pour voir l’espère disparaître », ajoute-t-il.

Une espèce « unique » ?

De nouvelles données scientifiques suggèrent par ailleurs que la rainette faux-grillon au Québec serait en réalité une espèce unique au monde. Dans une note transmise le 11 décembre dernier à l’équipe de rétablissement de la rainette faux-grillon, le biologiste Stephen Lougheed suggère que le petit batracien présent dans la province serait en effet « unique ».

Au cours des dernières années, certaines analyses soutenaient que la rainette faux-grillon de l’Ouest (Pseudacris triseriata) présente au Québec était en réalité une rainette faux-grillon boréale (Pseudacris maculata), une espèce qui n’est pas menacée au Canada. Des avocats de différents promoteurs appuient d’ailleurs cette hypothèse. Une opinion que ne partage pas Stephen Lougheed, qui enseigne la biologie à l’Université Queen’s.

« Permettez-moi d’abord de dire sans équivoque que la rainette faux-grillon de l’Ouest québécois n’est pas la rainette faux-grillon boréale que l’on retrouve dans l’Ouest canadien. […] Cette affirmation des avocats des développeurs est à mon avis totalement absurde. Ce ne sont pas des Pseudacris maculata occidentaux. Ils sont tout autre chose et sont uniques », écrit-il dans sa note dont La Presse a obtenu copie.

« Pour l’instant, nous n’avons rien publié ni soumis pour publication, mais en 2024, nous serons en mesure de publier plusieurs articles sur la génomique et la spéciation des rainettes faux-grillon, y compris celles de l’ouest du Québec », ajoute-t-il.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs au Québec

« On a la responsabilité de protéger ce qui pourrait constituer une espèce particulière, mais on est plutôt en train de semer les conditions pour créer une dette environnementale », a réagi Alain Branchaud en prenant connaissance de la note de M. Lougheed.

Tommy Montpetit, lui, rappelle que le gouvernement du Québec n’a pas fait grand-chose pour protéger l’espèce au cours des 20 dernières années. Le nouveau rapport du MELCCFP indique d’ailleurs que les populations de rainette faux-grillon ont poursuivi leur déclin même après que Québec l’a désignée comme espèce vulnérable en 2001.

Valeur reconnue il y a 20 ans

Pendant plusieurs années, le ministère québécois de l’Environnement a en effet autorisé le remblayage de nombreux milieux humides tout en sachant qu’ils abritaient des populations de rainette faux-grillon.

Des documents obtenus par La Presse indiquent que Québec connaissait dès 2003 l’importance du secteur du boulevard Béliveau, à Longueuil, où l’on retrouvait l’une des populations de rainettes faux-grillon les plus importantes dans la province.

Dans une lettre datant du 20 mars 2003 adressée à la Ville de Longueuil, le ministère de l’Environnement écrivait : « Notre ministère, ainsi que la FAPAQ [ancienne Société de la faune et des parcs], ne voit pas d’un bon œil les remblayages de zones humides et la relocalisation des espèces fragiles et menacées. »

Dans une autre missive datée du 14 avril 2003, le Ministère signalait la qualité des milieux humides, affirmant que ceux-ci étaient « d’une valeur écologique non négligeable ».

Ce qui n’a pas empêché les autorités de conclure que « malgré tout l’intérêt que présentent ces milieux, nous sommes prêts à accepter de recevoir une demande de l’autorisation en vue de vous permettre de réaliser les travaux dans le secteur indiqué ».

Selon Alain Branchaud, Québec ne devrait pas permettre de détruire des milieux humides « ni aucune forme de compensation » lorsqu’ils abritent des espèces menacées.

Consultez le rapport du MELCCFP sur la rainette faux-grillon de l’Ouest
En savoir plus
  • 3 cm
    La rainette faux-grillon mesure moins de 3 cm et est reconnaissable à son chant très caractéristique qu’on peut entendre au moment de la période de reproduction au printemps. L’espèce se reproduit dans des milieux humides temporaires où elle est généralement à l’abri des prédateurs.
    Source : COSEPAC
    2
    On retrouve la rainette faux-grillon dans deux régions au Québec : en Outaouais et en Montérégie. Les deux principales menaces pour l’espèce sont l’intensification des activités agricoles et le développement urbain.
    Source : Rapport 2023 du MELCCFP