De la ferme à l’assiette… à la terre. Neuf grands restaurants de Montréal participent à un projet-pilote qui vise à transformer leurs déchets organiques en compost. Étonnant, mais vrai : la collecte de matière organique n’est pas un service public offert aux restaurants, dans bon nombre d’arrondissements de Montréal.

Keegan McCallum gare son camion dans la ruelle située derrière le restaurant Le Butterblume. En moins de trois minutes, l’éboueur retire un à un les petits sacs de restes de table et les dépose sur la plateforme de son camion.

Depuis quelques mois, il passe ici deux fois par semaine dans le cadre d’un projet-pilote d’un an lancé par Table Ronde, un collectif qui rassemble près de 160 restaurants gastronomiques à travers le Québec.

« Quand Table Ronde nous a parlé de ce projet-pilote là, c’est sûr que ça nous a beaucoup parlé. Il faut qu’on emboîte le pas vers un avenir qui est plus durable », explique Julie Romano, copropriétaire du restaurant Le Butterblume, situé dans le quartier Mile End.

Grâce à une subvention de 68 600 $ de Recyc-Québec et de 10 000 $ de Tourisme Montréal, les neuf restaurants participants n’ont qu’à débourser 185 $ par mois chacun pour un service bihebdomadaire de collecte privé, plutôt que 420 $.

Car contrairement au secteur résidentiel, la collecte de la matière organique n’est pas un service public offert aux restaurants dans bon nombre d’arrondissements de Montréal. À l’ère de l’inflation alimentaire, ce coup de pouce fait une énorme différence.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Julie Romano, copropriétaire du restaurant Le Butterblume

Pour nous – et je n’en suis vraiment pas fière –, au début, c’était vraiment une question de coûts. On ne pouvait pas se permettre de faire du compost. C’est pour cela que lorsqu’on nous a parlé de cette subvention-là, qui est quand même assez importante, on s’est dit : “OK, c’est le temps, il faut profiter de cette occasion-là pour essayer de montrer un certain exemple.”

Julie Romano, copropriétaire du restaurant Le Butterblume

Depuis, le restaurant n’a besoin que d’un seul bac à déchets plutôt que trois, voire quatre.

Retour à la terre

Graziella Battista, du célèbre restaurant qui porte son nom, constate aussi une diminution importante de ses déchets grâce au compostage. « Je pense que je pourrais vraiment dire un tiers de moins », explique-t-elle.

Comme bien des chefs, Mme Battista tente d’utiliser toutes les parties des aliments dans sa cuisine… jusqu’aux pelures d’oignon pour colorer les fonds.

« Je dois admettre que ce projet, c’est quelque chose qui nous ressemble beaucoup dans l’idée de jeter le moins possible », dit-elle.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Graziella Battista, propriétaire de Restaurant Graziella

Quand on vient ramasser les assiettes des clients, parfois il reste une carotte, il reste une pomme de terre : on jetait ça avant. Maintenant, ça va dans le compostage et pour moi, c’est génial. Tout ce qui sort de la cuisine est réutilisé quelque part.

Graziella Battista, propriétaire de Restaurant Graziella

Les déchets organiques sont ramassés par Compost Montréal, une entreprise qui a un partenariat avec un centre de compostage municipal situé dans l’arrondissement du Sud-Ouest.

« On peut s’imaginer qu’un tel projet à plus grande échelle diminuerait davantage les coûts », précise Stephen MacCleod, directeur général de Compost Montréal.

Le compost issu des bacs bruns des citoyens n’est pas d’assez bonne qualité pour y faire pousser des aliments. Il est plutôt utilisé comme couche pour recouvrir les déchets dans les sites d’enfouissement.

En revanche, le compost produit dans le centre du Sud-Ouest est de qualité agricole. Il est redistribué aux citoyens chaque printemps au parc Angrignon et épandu dans les jardins communautaires et les plates-bandes municipales.

« Ça vient fermer la boucle. On fait tellement attention dans nos achats : la provenance, on essaye le plus d’acheter naturel, organique. Le fait qu’on puisse, à la fin, continuer ce processus et que ça retourne à la terre, c’est génial », souligne Mme Battista.

Réduire les GES

En plus de réduire le volume de déchets envoyés aux sites d’enfouissement, le compostage permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). À la fin du projet, le groupe d’experts Coop Carbone produira un rapport pour chiffrer les réductions de méthane engendrées par le projet.

Le méthane est un puissant GES qui possède un pouvoir de réchauffement planétaire près de 28 fois plus élevé que le dioxyde de carbone (CO2) sur 100 ans. Il est responsable d’environ 30 % du réchauffement de la planète depuis l’ère préindustrielle.

Quand on dit GES, les gens pensent à un pot d’échappement ou à la cheminée d’une usine, mais une source de GES majeure, ce sont nos sites d’enfouissement à cause des matières organiques qui s’y décomposent.

Gabriel Michaud, responsable du projet-pilote à la Coop Carbone

Dans les dépotoirs, les matières organiques se décomposent sans la présence d’oxygène, un processus chimique qui est plus long que celui du compostage et qui émet du méthane.

« Une bonne réaction de compostage, c’est lorsque la pile est bien oxygénée, bien aérée et ça va être un ensemble différent de bactéries qui vont faire la décomposition. Leur rejet ne sera pas du méthane, mais du CO2 et en plus petite quantité », ajoute Gabriel Michaud.

Le compostage est donc un atout méconnu dans la lutte climatique. « Mais aussi pour nos systèmes alimentaires », ajoute-t-il.

« Ça permet de réintroduire les nutriments dans un cycle des nutriments. […] Le compost, c’est tellement plein de vie que c’est même carrément trop de vie pour pouvoir planter quelque chose directement dedans. Tu dois l’utiliser comme un fertilisant, comme un amendement de sol qu’on ajoute à une terre pour la régénérer. […] Ça devient un substrat, un milieu dans lequel toute une chaîne alimentaire peut se développer. »