(Ottawa) Le Canada n’a jamais atteint sa cible de réduction de gaz à effet de serre (GES) et le dernier plan mis en place par le gouvernement Trudeau est insuffisant pour y parvenir, constate le commissaire à l’environnement et au développement durable. Malgré cette conclusion, le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, maintient que le Canada réussira cette fois.

« Absolument, notre plan montre que nous progressons et nos inventaires annuels de GES montrent que les émissions continuent de diminuer alors que la croissance économique augmente », a-t-il réagi.

Cette réaction contraste avec les conclusions du commissaire à l’environnement et au développement durable, Jerry DeMarco. Celui-ci constate que non seulement le plan du gouvernement est insuffisant, mais des mesures pour l’industrie pétrolière et gazière ont été retardées.

Son rapport déposé à la Chambre des communes mardi ne tient pas compte de la suspension de la taxe sur le carbone sur les livraisons de mazout annoncée par le premier ministre Justin Trudeau il y a près de deux semaines.

« On ne sait pas [quels seront] les effets de l’exemption », a reconnu le commissaire en conférence de presse mardi. Il veut savoir si le gouvernement a analysé l’impact qu’elle aurait sur la réduction des GES et si cette volte-face a nui à la confiance du secteur privé dans la tarification du carbone. Il compte en faire l’objet de son prochain rapport. Celui qu’il a dévoilé mardi dresse un portrait peu encourageant des efforts du Canada en la matière.

« Il sera bientôt trop tard pour éviter les effets catastrophiques des changements climatiques, a-t-il affirmé. Les incendies de forêt intenses, la fumée dans le ciel, les vagues de chaleur, les orages violents et les inondations sont de plus en plus graves et fréquents. »

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Jerry DeMarco

Le Canada a sept ans pour atteindre sa cible de réduction des GES en vertu de l’Accord de Paris sur le climat. Elle avait été fixée à 40 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030. L’objectif est de limiter la hausse de température moyenne à l’échelle planétaire sous la barre des 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels.

Or, le Plan de réduction des émissions pour 2030 du ministère de l’Environnement et du Changement climatique est insuffisant pour atteindre cette cible, conclut le commissaire. Les mesures mises de l’avant permettraient plutôt de réduire les émissions de 34 % par rapport à 2005, de l’aveu même du gouvernement.

Le temps presse, mais il n’est pas encore trop tard pour corriger le tir. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le commissaire a devancé son analyse d’un an. « Oui, c’est possible encore d’atteindre la cible de 2030, mais ils ont besoin de faire beaucoup mieux qu’ils ont fait pendant les 30 dernières années et ils ont besoin de plus de mesures », a indiqué M. DeMarco.

Il note que le Canada est le seul pays du G7 à ne pas avoir réduit ses émissions de GES depuis les premiers efforts pour tenter d’éviter la crise climatique en 1990. Elles ont plutôt augmenté, en grande partie à cause de l’industrie pétrolière et gazière.

Le commissaire identifie plusieurs facteurs qui nuisent à l’atteinte de la cible canadienne : le plan pour y parvenir manque de rigueur, des mesures importantes sont retardées, les projections manquent de fiabilité et les efforts sont fragmentés entre plusieurs ministères.

Par exemple, le plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier, de même que le nouveau règlement sur le méthane pour cette industrie sont en retard sans qu’on sache quand ils seront dévoilés. Ce sont deux des cinq politiques qui auraient dû entrer en vigueur en 2022 ou en 2023.

« C’est vraiment une question de volonté de priorisation », a-t-il fait valoir.

M. Guilbeault les promet au cours des prochaines semaines. « Honnêtement, je ne connais pas d’autres pays où il y a autant de choses qui se sont faites au cours des dernières années et c’est normal, on est en mode rattrapage au Canada parce que pendant 10 ans sous Stephen Harper alors que Pierre Poilievre était ministre dans ce cabinet-là, on n’a rien fait en matière de lutte contre les changements climatiques », s’est-il défendu.

Le commissaire note dans son rapport que les mesures réglementaires et la tarification du carbone, à laquelle s’opposent les conservateurs, constituent « des mesures potentiellement rigoureuses » pour réduire les émissions de GES.

Parmi les autres lacunes, le Plan de réduction des émissions pour 2030 ne spécifie aucune cible de réduction pour 76 de ses 80 mesures. De plus, moins de la moitié d’entre elles ont une date de mise en œuvre. En fait, le gouvernement s’attend à ce que « seulement 34 des 80 mesures (43 %) aient une incidence directe sur les émissions ». Il souligne également que les réductions des GES estimées par le gouvernement s’appuient sur des « hypothèses trop optimistes ».

M. DeMarco émet neuf recommandations pour corriger ces insuffisances qui ont toutes été acceptées par le gouvernement.

Ce qu’ils ont dit

Je note que nous ne gagnons rien de ce premier ministre avec cette taxe sur le carbone.

Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur du Canada

Sous les libéraux, on donne plus d’argent public aux combustibles fossiles que dans n’importe quel autre pays du G20. Il faut le faire.

Alexandre Boulerice, chef adjoint du Nouveau Parti démocratique

S’attaquer aux pétrolières, ça semble être difficile pour le gouvernement libéral, mais c’est la chose environnementale à faire.

Kristina Michaud, députée du Bloc québécois

Ça devient répétitif. Les gouvernements de différentes familles politiques se fixent des objectifs et les ratent chaque fois.

Mike Morrice, député du Parti vert du Canada

Les graves lacunes du plan climatique du gouvernement sont plus que préoccupantes et démontrent que ce gouvernement ne prend pas encore la crise climatique au sérieux, malgré que le pays vient de subir une année record pour les incendies de forêt qui s’ajoutent aux autres évènements climatiques extrêmes.

Patrick Bonnin, porte-parole de Greenpeace Canada

L’histoire jusqu’ici

12 décembre 2015

Le Canada et 194 autres pays adoptent l’Accord de Paris sur le climat pour lutter contre le réchauffement climatique. L’objectif est de limiter l’augmentation de la température moyenne mondiale sous 2 °C.

29 juin 2021

Le gouvernement adopte la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité qui détaille les étapes à suivre pour atteindre cet engagement international d’ici 2050, mais ne contient aucune sanction si le gouvernement n’y parvient pas.

25 mars 2022

Le ministère de l’Environnement et du Changement climatique publie son Plan de réduction des émissions pour 2030. Le document de 279 pages détaille les mesures à prendre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre à 40 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030.