Les eaux usées de Rouyn-Noranda contiennent tellement de métaux lourds que les boues provenant des infrastructures d’épuration de la partie urbaine de la ville ne peuvent être recyclées. Une situation rare au Québec, qui force la Ville à les enfouir à grands frais, possiblement à des centaines de kilomètres.

Cadmium et cuivre, des métaux émis en grande quantité par la Fonderie Horne, s’y retrouvent à des taux qui dépassent les seuils autorisés pour servir d’engrais, tout comme l’arsenic, dans une moindre mesure, indique un rapport de Viridis environnement daté de juillet 2021, que La Presse a obtenu.

La firme spécialisée en gestion de matières résiduelles fertilisantes attribue la présence de ces métaux « au bruit de fond régional des sols et aux activités anthropiques [c’est-à-dire d’origine humaine], entourant la ville ».

Bruit de fond régional des sols

Présence de contaminants dans un environnement donné indépendamment des activités humaines.

Viridis environnement avait été mandatée par la Ville pour trouver des « pistes de solution visant à valoriser les biosolides municipaux » – qui sont riches en matières organiques, en azote, en phosphore et en oligo-éléments comme le fer, le magnésium et le manganèse.

« L’étude du dossier ne nous permet pas d’identifier des solutions de valorisation [permises] », conclut toutefois la firme. Le document recense des options qui nécessiteraient toutes une autorisation spéciale du ministre de l’Environnement du Québec.

L’épandage agricole, qui est habituellement permis pour les cultures de céréales, de maïs et de soya n’étant pas destinées à l’alimentation humaine, n’est donc pas possible, y compris en Ontario voisin, tout comme l’épandage forestier et le compostage industriel dans la région.

Même la restauration de sites miniers ou la végétalisation d’un milieu inculte, où rien ne pousse, nécessiterait une dérogation.

Cette option pourrait se justifier dans le cas d’un site déjà fortement contaminé, estime Sébastien Sauvé, professeur de chimie de l’environnement à l’Université de Montréal.

Si c’est une friche, une ancienne mine, qu’il y a déjà des niveaux de cadmium et de cuivre qui sont très élevés, là, il y a une valeur ajoutée d’utiliser ces produits-là, parce qu’on va apporter de la matière organique, de l’azote, du phosphore ; les plantes vont être capables de pousser.

Sébastien Sauvé, professeur de chimie de l’environnement à l’Université de Montréal

Il faudrait toutefois empêcher le transfert des contaminants à la faune et la flore environnantes, puisque ce qui y pousserait ne serait « évidemment pas propre à la consommation », prévient le professeur Sauvé.

La biométhanisation est quant à elle écartée parce que les boues provenant d’étangs aérés, la technologie d’épuration utilisée à Rouyn-Noranda, ne génèrent pas de biogaz, indique le rapport.

Qu’est-ce qu’un « étang aéré » ?

Les étangs aérés sont des bassins artificiels servant à traiter les eaux usées par biodégradation naturelle, avec l’injection d’air. Les eaux provenant des égouts y séjournent de 15 à 25 jours, ce qui permet aux bactéries et aux rayons ultraviolets du soleil d’en diminuer le taux d’impuretés. La matière organique se dépose dans le fond et se dégrade partiellement. Les étangs doivent être vidés régulièrement et les boues doivent être recyclées ou éliminées. Il s’agit de la technologie d’épuration la plus répandue au Québec.

L’ombre de la Fonderie Horne

En plus du rapport de Viridis environnement, la Ville de Rouyn-Noranda identifie la Fonderie Horne comme l’une des cinq sources non résidentielles d’eaux usées, sur 1614, qui « ont un impact important sur les eaux à traiter », indique son Plan de gestion des matières résiduelles (PGMR), adopté en août – les quatre autres étant le site d’enfouissement, le centre hospitalier ainsi que les entreprises Newalta et Veolia (cette dernière ayant toutefois vendu ses installations à Ortec Environnement Services Rouyn-Noranda).

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

L’une des cheminées de la Fonderie Horne, à Rouyn-Noranda

La Ville dispose toutefois de « très peu de données sur la quantité et la qualité » des eaux usées provenant de la fonderie, indique-t-elle dans ce document – seules les eaux sanitaires de la Fonderie sont envoyées dans le réseau municipal, l’entreprise traitant elle-même ses eaux industrielles.

« On a un passif environnemental ici et une contamination des sols qui n’est plus à démontrer », a expliqué dans un entretien à La Presse Aurore Lucas, chargée de projets en environnement à la Ville de Rouyn-Noranda, en réponse à une question sur la responsabilité de la Fonderie Horne.

La contamination vient probablement en grande partie des eaux de ruissellement, suppose la Ville, qui, comme beaucoup d’autres au Québec, s’affaire graduellement à séparer ses égouts pluviaux de ses égouts sanitaires.

Il y a beaucoup de choses qui peuvent se retrouver à l’égout.

Aurore Lucas, chargée de projets en environnement à la Ville de Rouyn-Noranda

Dans le lot se retrouvent les importants rejets de contaminants atmosphériques de la Fonderie Horne, qui retombent au sol et que la pluie entraîne dans les égouts.

Sans caractérisation des eaux usées en amont, « il est difficile de déterminer qui est responsable [de la contamination] et dans quelle proportion », indique Mme Lucas, qui exclut cependant que les résidants puissent excréter eux-mêmes ces contaminants.

L’eau qui sort des étangs aérés, elle, « ne contient pas de métaux lourds », assure Mme Lucas, sur la base de tests qui sont effectués régulièrement.

Destination Laurentides

Faute de pouvoir recycler les boues des étangs de la partie urbaine de la ville, Rouyn-Noranda pourrait les envoyer aux sites d’enfouissement de Sainte-Sophie ou de Lachute, dans les Laurentides, suggère le rapport de Viridis environnement.

Ces deux derniers, qui appartiennent à la multinationale Waste Management, disposent de la capacité nécessaire, et le coût serait inférieur, même en tenant compte du transport, à ceux des sites d’enfouissement de l’Abitibi-Témiscamingue, où les boues avaient été enfouies lors de la vidange de 2015 – la Ville avait alors payé de 364 $ à 394 $ la tonne pour enfouir 1416 tonnes métriques de boues sèches dans deux sites différents.

Cette option serait toutefois « un non-sens » sur le plan environnemental, estime Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets.

« Ce n’est pas logique de faire faire 1200 kilomètres [aller-retour] à des camions pour aller déverser des boues d’usine d’épuration, des matières organiques qui vont créer des gaz à effet de serre dans le dépotoir », dit-il.

Il faudrait plutôt régler le problème « à la source », afin de réduire l’apport en contaminants à l’usine d’épuration, affirme M. Ménard.

Entre-temps, les coûts de l’élimination des boues municipales devraient être assumés par ceux qui les contaminent, affirme Marc Nantel, du Regroupement Vigilance Mines de l’Abitibi-Témiscamingue (REVIMAT).

« Pourquoi ce n’est pas la Fonderie [Horne] qui paie, étant donné que c’est le grand pollueur de ces boues-là ? », se demande-t-il.

Lors de la vidange de 2022, les boues ont été placées dans un « géotube » pour être déshydratées, un processus qui prend de trois à cinq ans, au terme duquel une décision sera prise sur la façon d’en disposer, indique la Ville.

Cas « peu commun »

Rouyn-Noranda n’est pas la seule ville à enfouir ou incinérer ses boues d’épuration, mais elle est l’une des rares à devoir le faire parce qu’elles sont trop contaminées pour être recyclées.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Un quartier de Rouyn-Noranda avec, au loin, les cheminées de la Fonderie Horne

« C’est peu commun », explique l’agronome Simon Naylor, vice-président responsable du développement et de l’énergie chez Viridis environnement.

« Ça arrive dans quelques régions, notamment dans les régions minières », dit-il.

Le taux de recyclage des boues municipales était de 57 % au Québec, en 2021, selon le plus récent bilan de la Société québécoise de récupération et de recyclage (Recyc-Québec).

Montréal incinère la quasi-totalité de ses boues, mais elle le fait principalement pour en réduire le volume, indique la Ville, qui précise que les taux de métaux lourds n’excèdent pas les seuils prescrits pour leur utilisation comme engrais – une partie des cendres ainsi générées servent d’ailleurs elles-mêmes de fertilisant agricole.

La Ville de Québec incinère aussi ses boues, un choix fait dans les années 1980 pour prolonger la durée de vie de son site d’enfouissement, mais elle a entrepris de les envoyer graduellement à son usine de biométhanisation, entrée en activité le printemps dernier – ce qui est possible puisque Québec n’utilise pas la technologie d’épuration par étangs aérés.

Projet-pilote à la Fonderie Horne

Un projet-pilote de recyclage des boues municipales contaminées de Rouyn-Noranda a été mis en place durant l’été afin de tester leur utilisation dans le cadre de la restauration d’un ancien parc à résidus adjacent à la Fonderie Horne, en collaboration avec la Ville et Viridis environnement. La technique de « tranchée profonde en rangée », qui a démontré son efficacité sur des sablières dont les sols résiduels sont argileux, mais n’a jamais été testée pour la restauration de projets miniers nordiques, a été utilisée, a indiqué la porte-parole de la Fonderie, Cindy Caouette. Un millier d’arbres ont ainsi été plantés dans des tranchées remplies de boues municipales contaminées. Le projet vise à « démontrer que la technique permet de réduire la concentration des éléments problématiques du site », dont le cadmium contenu dans les boues, a expliqué Simon Naylor, de Viridis environnement. « Si l’expérimentation est concluante, nous implanterons cette technique sur plusieurs parcs à résidus lorsque viendra le temps d’en faire la restauration », a déclaré Mme Caouette.

Québec revoit sa législation

Le gouvernement québécois s’affaire à revoir sa réglementation sur le recyclage des boues municipales, dans la foulée d’une polémique sur l’importation de biosolides provenant des États-Unis. Certains États en ont interdit l’épandage après que des analyses ont révélé la présence de substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques (PFAS), communément appelées polluants éternels, sur des terres agricoles qui en avaient reçu. Québec a imposé dans la foulée un moratoire sur l’importation de ces boues. Le gouvernement prévoit que la nouvelle réglementation entrera en vigueur à temps pour la prochaine saison agricole, au printemps 2024.

Ce texte a été modifié après sa publication pour indiquer que l'entreprise Veolia, identifiée par la Ville de Rouyn-Noranda comme l'une des cinq sources non résidentielles d'eaux usées ayant un impact important sur les eaux à traiter, a vendu ses installations à Ortec Environment Services Rouyn-Noranda.

En savoir plus
  • 2241
    Estimation, en tonnes, de la quantité de boues municipales que Rouyn-Noranda cherche à recycler
    source : Viridis environnement
    794 000
    Quantité, en tonnes, de boues d’épuration générées au Québec en 2021
    source : Société québécoise de récupération et de recyclage (Recyc-Québec)
  • 344 000
    Quantité, en tonnes, de boues d’épuration qui ont été « éliminées » par incinération ou enfouissement au Québec en 2021
    source : Société québécoise de récupération et de recyclage (Recyc-Québec)