Les Québécois sont favorables à des mesures plus importantes pour protéger le caribou des bois. Selon une étude menée par des chercheurs de l’Université Laval, la population appuierait même une réduction du volume de récolte de bois alloué par Québec à l’industrie, à condition qu’elle permette le rétablissement de cette espèce menacée.

Ce qu’il faut savoir

  • Malgré le déclin des populations de caribous au Québec, la stratégie du gouvernement provincial se fait toujours attendre.
  • Une nouvelle analyse menée par des chercheurs de l’Université Laval suggère que les Québécois appuieraient des mesures contraignantes pour l’industrie.
  • Après le béluga, le caribou est l’espèce emblématique préférée des Québécois.

« Même si des millions sont nécessaires »

Daniel Fortin, professeur à la Faculté des sciences du génie, et Jérôme Cimon-Morin, professeur adjoint à la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique de l’Université Laval, viennent de publier une analyse dans la revue Science of the Total Environment qui se penche sur les perceptions du public quant aux mesures de protection pour le caribou forestier, une espèce menacée. L’étude s’appuie notamment sur un sondage mené auprès de 1000 personnes. L’une des principales conclusions, c’est que les Québécois « s’attendent à ce que les mesures de conservation soient suffisantes pour rétablir les populations de caribous, même si des millions sont nécessaires et que des emplois sont perdus dans le processus », écrivent les deux chercheurs. Rappelons que l’ancien chef du parti libéral Philippe Couillard avait déclaré en campagne électorale, en 2014, qu’il ne sacrifierait « pas une seule job dans la forêt pour les caribous ».

Un enjeu jugé important

De façon générale, la conservation du caribou est un enjeu jugé important par 84 % de la population, et 64 % des gens estiment que les mesures en place sont insuffisantes. Pour mieux évaluer la perception du public sur les mesures à prendre pour protéger l’espèce, les deux scénarios proposés par la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards, en 2022, ont été présentés aux personnes interrogées. Le premier prévoit une réduction de 2,5 % des volumes de bois autorisés pour l’industrie au cours des cinq prochaines années, ce qui entraînerait la perte de 841 emplois. La deuxième option évite les pertes d’emploi et permet même une légère augmentation des possibilités de coupes pour l’industrie. Pour 41 % des répondants, aucun des deux scénarios n’était jugé acceptable.

Des mesures fortes, oui, mais…

Cet appui de la population n’est cependant pas inconditionnel, expliquent les deux chercheurs dans leur analyse intitulée L’opinion publique sur le conflit entre la conservation des espèces en péril et l’extraction des ressources naturelles : le cas du caribou en forêt boréale. En effet, lorsque les répondants ont été informés que les scientifiques jugeaient qu’aucune des deux propositions ne permettrait le rétablissement de l’espèce, plusieurs d’entre eux ont changé d’avis. La proportion des répondants jugeant qu’aucun des deux scénarios n’était jugé acceptable est ainsi passée de 41 à 48 %. « Les gens sont prêts à appuyer des mesures fortes, mais à la condition qu’elles permettent le rétablissement de l’espèce », signale Jérôme Cimon-Morin en entrevue avec La Presse.

« Les valeurs ont changé »

Les résultats de cette étude de l’Université Laval vont dans le même sens qu’une autre recherche de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique de l’Université du Québec en Outaouais dévoilée le printemps dernier. L’étude menée par l’équipe du chercheur Jérôme Dupras concluait que les Québécois étaient prêts à débourser 55 $ par année en moyenne pour protéger le caribou forestier. « On n’entend pas souvent la population sur ces enjeux-là, affirme Jérôme Cimon-Morin. On a voulu voir ce que les propriétaires de la forêt québécoise [la population] ont à dire à l’intendant de cette forêt, au gouvernement. […] Peut-être qu’il y a 20 ans, la population ne souhaitait pas ça [de telles mesures], mais les valeurs ont changé », ajoute-t-il.

Les Québécois attachés au caribou

« Malgré l’importante couverture médiatique dont le caribou a fait l’objet au cours des 20 dernières années, nous avons constaté que les répondants étaient peu informés de la situation des populations de caribous. Seule une faible proportion des répondants était au courant de l’évolution des populations de caribous ou de la tenue de la Commission indépendante du Québec sur le caribou quelques semaines seulement avant notre enquête », écrivent les deux chercheurs. « Le fort soutien à la conservation du caribou malgré une mauvaise connaissance des tendances de la population indique que le soutien des citoyens à la conservation du caribou va au-delà de son statut d’espèce en péril », précisent-ils.

Un plan qui se fait toujours attendre

Rappelons que le gouvernement du Québec devait initialement dévoiler sa stratégie de protection de caribou forestier et montagnard au plus tard à la fin de juin. Le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, avait imposé cette date butoir pour éviter qu’il ne se trouve dans l’obligation de recommander au Cabinet fédéral l’adoption d’un décret pour protéger l’espèce et son habitat. Un délai supplémentaire a cependant été accordé afin de permettre à Québec de réviser ses plans pour tenir compte des ravages causés par les incendies de forêt dans le Nord québécois. Les scientifiques dénoncent depuis plusieurs années l’inaction du gouvernement provincial pour assurer la protection du caribou.

Consultez l’étude (en anglais) Consultez le rapport de la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards