Comment ils sont passés de la parole aux actes

(Brigham) Pour protéger les goglus et sturnelles des prés, deux espèces d’oiseaux migrateurs menacées, des producteurs agricoles de la Montérégie retardent la fauche d’une partie de leurs champs jusqu’à ce que les petits soient à maturité. Un effort qui porte ses fruits, puisque cette progéniture revient nicher aux mêmes endroits les années suivantes.

« Il est là ! Regarde le poteau avec le fanion, il y a un petit oiseau dessus ! », s’exclame Marilou Alarie en montrant un piquet de bois coiffé d’un drapeau orangé au milieu de son champ.

Ce piquet marque la zone à ne pas dépasser. Un goglu des prés, reconnaissable à sa grosse tache jaune aux allures de capuchon à l’arrière de la tête, en a fait son perchoir. De ce poste de guet, il émet une série de notes métalliques, souvent comparées aux sonorités émises par le robot R2D2 de La guerre des étoiles. Pour les distinguer, il faut être attentif, car en cette matinée de la fin de juin, l’air est saturé de gazouillis et de pépiements. Les sturnelles des prés, qui, elles, portent leur plumage jaune sur le poitrail, se font aussi entendre.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Goglu des prés femelle.

Si les nids bâtis au sol échappent aux regards, le ballet incessant des volatiles plongeant entre les hautes herbes ne ment pas : goglus et sturnelles viennent nourrir leur précieuse progéniture.

« À la fin de l’été passé, on a vu la différence : les bébés sturnelles et les bébés goglus étaient partout », raconte Mme Alarie, copropriétaire de cette ferme de Brigham, à côté de Bromont, acquise en 2021 avec son conjoint.

Deux espèces menacées

C’est l’organisme sans but lucratif QuébecOiseaux qui l’a informée de la présence des deux espèces menacées, repérées par ses bénévoles.

PHOTO FOURNIE PAR ISABELLE DEVOST

Isabelle Devost, biologiste chez QuébecOiseaux

Les oiseaux champêtres et les insectivores aériens [hirondelles, martinets et engoulevents, par exemple] sont les deux groupes d’espèces d’oiseaux qui, au Canada, ont connu les déclins les plus importants dans les dernières décennies.

Isabelle Devost, biologiste chez QuébecOiseaux

« Je ne connaissais pas du tout ces deux espèces, la sturnelle et le goglu. Pour nous, c’était comme un cadeau d’avoir ça chez nous », s’enthousiasme Mme Alarie.

La sturnelle et le goglu, qui hivernent respectivement dans le sud-est des États-Unis et en Amérique du Sud, viennent faire leur nid sous nos latitudes du début de mai à la mi-juillet. La perte et la modification de l’habitat sont la principale cause de leur déclin.

« On a de plus en plus de cultures annuelles, comme le maïs et le soya, et de cultures en rangs. Ce n’est pas le bon type d’habitat pour la nidification », précise Mme Devost. Ce sont plutôt les prairies, les champs de foin et les pâturages qui sont propices aux couvées. « Et dans les prairies exploitées, comme les champs de foin, il y a une certaine intensification des pratiques agricoles, avec des fauches de plus en plus tôt dans l’année. Ça ne permet pas aux oiseaux de compléter un cycle de nidification. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Marilou Alarie, copropriétaire de Terre ferme Brigham, se tient à côté d’un piquet signalant la zone à ne pas faucher avant le 15 juillet afin d’épargner les nids des goglus et des sturnelles qui ont fait leur couvée dans son champ.

C’est pourquoi QuébecOiseaux propose à des producteurs comme Mme Alarie de reporter la fauche au 15 juillet sur des parcelles où des espèces menacées ont été repérées.

Ce foin coupé tardivement affichera toutefois une plus faible valeur nutritive, donc un prix réduit. Pour compenser, les producteurs peuvent faire une demande au programme ALUS Montérégie, géré par la fédération régionale de l’Union des producteurs agricoles (UPA). Ce programme offert en partenariat avec ALUS Canada, un organisme financé en grande partie par des fondations, rétribue les agriculteurs pour des projets écologiques, comme l’implantation de haies brise-vent et de zones tampons riveraines.

ALUS est présent dans d’autres régions, mais la Montérégie est la première à inclure un volet pour la fauche tardive, dont huit producteurs se sont prévalus jusqu’ici.

PHOTO FOURNIE PAR JULIEN PAGÉ

Julien Pagé, président du comité ALUS Montérégie

« On voit qu’après deux ou trois ans, il y a augmentation [des oiseaux], mais c’est vraiment la progéniture, les bébés qui reviennent nicher à peu près à la même place où ils sont nés. Donc on voit les effets de la protection qu’on donne à l’espèce assez rapidement », se réjouit le président du comité ALUS Montérégie, Julien Pagé.

PHOTO FOURNIE PAR MARILOU ALARIE

Deux des trois parcelles où Terre ferme Brigham s’est engagée à retarder la fauche du foin jusqu’au 15 juillet. Celle où La Presse a pu observer de nombreux oiseaux à la fin de juin est en bleu.

Intérêt croissant

Mme Alarie, par exemple, s’est engagée à retarder la fauche de trois parcelles d’environ un hectare, pour lesquelles le programme fournit une rétribution annuelle de 450 $ par hectare. Elle essaie toutefois de repousser la coupe dans l’ensemble de ses champs, comme elle l’a fait l’été dernier. « C’est vrai que c’est une perte de rendement, mais est-elle est raisonnable ? Je pense qu’on doit tous contribuer. »

Mme Devost, qui travaille avec des agriculteurs de plusieurs autres régions sans soutien financier, en témoigne. « Plusieurs producteurs sont très conscientisés et souhaitent s’impliquer, parce qu’eux aussi sont sensibles à la biodiversité, et veulent un milieu en santé. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Goglu des prés femelle en vol

QuébecOiseaux fournit un accompagnement personnalisé gratuit aux propriétaires terriens, en leur suggérant diverses mesures – par exemple, conserver les éléments utilisés par les oiseaux (piquets de cèdre, arbres morts, vieux bâtiments agricoles, etc.), et faucher les champs de l’intérieur vers l’extérieur pour leur permettre de fuir vers les terrains voisins.

« Au-delà de juste être beaux, ils ont toute une utilité dans l’écosystème », souligne Mme Devost, en rappelant que les oiseaux gobent des quantités industrielles d’insectes, ainsi que les graines de certaines mauvaises herbes.

Consultez le guide interactif de l’UPA Montérégie sur les espèces en péril Consultez la page de QuébecOiseaux sur la protection des oiseaux champêtres