Depuis son adoption il y a 45 ans, elle a façonné le paysage de la province. Québec veut maintenant la rouvrir. Une « grande réflexion nationale » sera lancée ce mercredi dans le but de moderniser la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, a appris La Presse.

Ce qu’il faut savoir

  • Les meilleures terres agricoles du Québec sont sous pression. Québec lance ce mercredi un vaste chantier pour trouver les bons mécanismes pour les protéger.
  • Au Québec, 2 % du territoire est exploité à des fins agricoles, mais de plus en plus de superficies sont laissées en friche. Le ministre provincial de l’Agriculture veut renverser cette tendance.
  • Des experts universitaires, des agriculteurs, des représentants de municipalités et même les citoyens seront consultés.

L’objectif premier de ce vaste chantier sera de mieux protéger les terres dotées du plus grand potentiel agricole des pressions de l’urbanisation. Au Québec, les terres les plus fertiles – et convoitées – se trouvent dans les basses-terres du Saint-Laurent, là où vit la majorité de la population.

Le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, André Lamontagne, annoncera ce mercredi matin, à Québec, la mise en place d’une consultation d’une durée de près d’un an, aux côtés de la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, du président de l’Union des producteurs agricoles, Martin Caron, et de dirigeants du monde municipal.

« Nos meilleures terres, il faut rendre ça encore plus difficile de les exclure de la zone agricole », a expliqué le ministre Lamontagne en entrevue.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

André Lamontagne, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec

Ce qu’on va chercher à faire, ultimement, c’est de sécuriser notre patrimoine agricole. C’est de sécuriser notre capacité à produire sur le territoire et c’est de sécuriser l’accès pour ceux dans le futur.

André Lamontagne, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec

En revanche, concernant les petites collectivités rurales qui ont besoin de dynamisme, une réflexion sera menée pour déterminer s’il faut permettre certains assouplissements dans les cas où les terres ont un faible potentiel agricole.

« On ne lance certainement pas cette consultation avec comme objectif d’ouvrir la zone verte au développement résidentiel », précise toutefois le ministre.

Il cite l’exemple fictif d’une municipalité en Gaspésie qui voudrait installer un CPE sur un petit terrain.

À quoi sert la loi ?

Adoptée en 1978, la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles est l’héritage du plus célèbre ministre québécois de l’Agriculture, Jean Garon. Elle visait à mettre un frein à l’étalement urbain et à protéger les bonnes terres agricoles de la spéculation immobilière.

Elle a ainsi délimité des « zones vertes » où il est interdit de construire des commerces ou des résidences autres que celles des agriculteurs qui exploitent la terre.

Cette loi, ce qu’il faut se rappeler, c’est que lorsqu’elle a été mise en place en 1978, c’était le free-for-all sur le territoire.

André Lamontagne, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec

Même si la superficie de la zone agricole au Québec est stable depuis 30 ans, dans les faits, des terres ont pu être dézonées dans les plus importantes régions agricoles comme la Montérégie et Chaudière-Appalaches, tandis que des terres zonées agricoles se sont ajoutées dans des régions plus périphériques comme la Côte-Nord et le Saguenay–Lac-Saint-Jean, peut-on lire dans un document explicatif du gouvernement.

« Oui, la zone agricole n’a pas diminué, mais en bout de ligne, la capacité nourricière de notre zone agricole a diminué au cours des dernières années, note le ministre. C’est la capacité nourricière que je veux préserver. »

D’ici la fin de l’automne, des consultations auprès de divers intervenants et experts seront lancées sur trois thèmes : le territoire agricole, les activités agricoles et la propriété des terres.

Suivra une tournée régionale à l’hiver et la publication d’un rapport synthèse au printemps. Le dépôt d’un projet de loi est prévu pour l’automne 2024.

Tous les Québécois pourront faire parvenir des mémoires au gouvernement. Des sondages seront réalisés auprès de la population.

Un comité universitaire formé d’une dizaine de chercheurs mettra aussi la main à la pâte.

Réduire les friches

La superficie « verte » du Québec est évaluée à quelque 6,3 millions d’hectares. Cela représente environ 5 % du territoire de la province, même si, dans les faits, en excluant les boisés, les forêts, les friches et les milieux humides, c’est plutôt environ 2 % du territoire qui serait exploité à des fins agricoles.

La proportion des terres zonées agricoles qui est réellement en culture est en chute libre. Entre 2006 et 2021, 63 000 hectares sont tombés en friche au Québec, soit plus que la taille de l’île de Montréal (48 000 hectares).

« Comment peut-on chercher à renverser ça ? Comment peut-on décourager les gens de laisser les terres en friche et comment peut-on les encourager à prendre des terres en friche et les réhabiliter ? C’est des choses qu’on va pouvoir exploiter », explique le ministre au sujet de la consultation.

L’une des mesures étudiées lors de la consultation sera d’inciter les municipalités à surtaxer les terres laissées en friche.

« Ce n’est pas une peinture, le territoire agricole. Il y a des gens qui se promènent en char et qui trouvent donc ça beau, et c’est le fun de trouver ça beau. Mais moi, des fois, quand je me promène, de l’arrière de ma van, je regarde notre territoire et le cœur me serre parce que je me dis : dans 15, 20, 30 ans, il va-tu y avoir du monde pour cultiver ça ? Pour nous nourrir ? Moi, ma préoccupation, elle vient de là. »

Registre des transactions ?

Au Québec, on ne connaît pas la proportion exacte des terres agricoles qui appartiennent à des non-agriculteurs ou à des étrangers.

Les consultations viseront aussi à déterminer la pertinence de mettre en place un registre des transactions foncières géré par la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), organisme créé en 1978 pour faire appliquer la loi. On se penchera aussi sur la possibilité de permettre à la CPTAQ de contrôler l’achat de terres à des fins non agricoles.

« Honnêtement, c’est ambitieux », a expliqué le ministre Lamontagne au sujet de l’ensemble de cette modernisation. « Je me lève le matin et je me dis que c’est le plus grand défi de ma vie. »

En savoir plus
  • 0,28 hectare
    Superficie agricole par habitant au Québec. Au Canada, c’est 1,57 hectare par habitant.
    source : gouvernement du Québec
    0,9 hectare
    Superficie agricole par habitant dans les pays de l’OCDE
    source : gouvernement du Québec