Greenpeace déposera une plainte pour publicité mensongère contre six grands producteurs canadiens de sables bitumineux au Bureau de la concurrence, ce jeudi. La campagne, appelée « Mettons ça au clair », a été diffusée lors d’importants évènements comme la Coupe du monde de soccer, les Internationaux de tennis d’Australie et le Super Bowl.

L’Alliance nouvelles voies (Pathways Alliance), qui regroupe les six plus grandes entreprises de sables bitumineux du pays, affirme qu’elle « avance à grands pas vers la carboneutralité » et qu’elle « aidera notre pays à assurer un avenir durable » dans une campagne lancée en août dernier. Ces déclarations sont « fausses » et « trompeuses », indique Greenpeace dans la plainte que La Presse a pu consulter.

« Le message qui est transmis, c’est que l’Alliance prend au sérieux la crise climatique et qu’elle prend les mesures nécessaires pour y remédier. Mais en réalité, elle continue d’accroître sa production d’énergie fossile. Ça ne colle pas avec l’image “durable” qu’elle essaie de se donner face au public canadien », explique Salomé Sané, chargée de la campagne climat à Greenpeace.

CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE DE L’ALLIANCE NOUVELLES VOIES

L’organisme demande au Bureau de la concurrence d’enquêter et d’imposer une amende de 10 millions de dollars aux six entreprises, ou de 3 % de leurs recettes brutes mondiales. Il demande aussi que l’Alliance nouvelles voies publie une rétractation et qu’elle retire toute mention de « carboneutralité » de ses communications publiques.

Une plainte de 43 pages

Dans la plainte, Greenpeace soutient que la production de combustibles fossiles de l’Alliance augmente et qu’elle ne peut pas « avancer vers la carboneutralité » comme elle le prétend. « En 2022, cinq de ces six entreprises ont produit collectivement une moyenne record de 3,2 millions de barils de pétrole brut par jour », une production qui devrait être surpassée cette année et au cours de la prochaine décennie, indique le document déposé au Bureau de la concurrence.

L’Alliance nouvelles voies soutient également qu’elle investira des milliards de dollars dans le captage et le stockage de carbone, « malgré l’incertitude concernant l’efficacité, la fiabilité et le coût de la technologie », dit Greenpeace.

En outre, la coalition se présente comme un leader en matière de climat alors qu’elle ne respecte pas ses engagements, soutient l’organisme de protection de l’environnement. « Plus de 80 % de leurs émissions ne sont pas comptabilisées dans leur plan de carboneutralité », lit-on dans la plainte de 43 pages.

Si une amende est imposée aux six entreprises, Greenpeace souhaite que l’argent soit versé au Fonds pour dommages à l’environnement et à des organisations, de préférence autochtones, afin de dépolluer des sites de sables bitumineux.

Les plaintes se multiplient

Marc Bishai, avocat au Centre québécois du droit de l’environnement, affirme que les plaintes contre des entreprises qui se prétendent carboneutres se multiplient au Canada. Mais les enquêtes sur ce qui est appelé « écoblanchiment climatique » sont toujours en cours.

« Le Bureau [de la concurrence] devra d’abord décider s’il lance une enquête. Ensuite, il devra déterminer s’il négocie un règlement hors cours comme dans l’affaire des capsules de café Keurig ou s’il se lance dans des procédures judiciaires, ce qui peut être long », explique l’avocat.

M. Bishai affirme toutefois que la Loi sur la concurrence présente certaines lacunes. Par exemple, comment une entreprise doit-elle démontrer qu’elle sera carboneutre en 2050 ? se questionne-t-il.

« On sait que les entreprises n’ont pas le droit de faire des déclarations fausses ou trompeuses, mais on ne sait pas ce que les autorités considèrent comme faux ou trompeur en matière de carboneutralité. C’est comme si on essayait de jouer au soccer avec un but invisible. On sait qu’il existe, mais on ne sait pas où il est », dit M. Bishai, qui souhaite que la consultation publique sur la réforme de la loi, qui a lieu actuellement, mène à des changements.

Pathways Alliance, fondée en 2021, réunit Canadian Natural Resources Limited, Cenovus Energy, ConocoPhillips Canada, Imperial, MEG Energy et Suncor Energy. Ces entreprises produisent 95 % du pétrole issu des sables bitumineux au Canada, selon le site internet de l’Alliance. Celle-ci a préféré attendre de lire la plainte avant de la commenter.