(Saint-Basile) Malgré les apparences, la chaussée, les ponts et les trottoirs sur lesquels nous marchons n’ont rien d’inoffensif pour l’environnement. Au contraire. Le ciment – en quelque sorte la colle servant à concevoir le béton – est l’un des plus grands pollueurs de la planète.

Dans les cimenteries du Québec, comme ailleurs dans le monde, les efforts se multiplient pour modifier les procédés afin de produire du béton plus « vert ». Un énorme casse-tête puisque, pour fabriquer le ciment, il faut chauffer de la roche à des températures volcaniques, une étape essentielle générant quantité de dioxyde de carbone (CO2).

Mais voilà qu’à San Francisco, des ingénieurs américains se targuent depuis janvier d’avoir capturé du CO2 rejeté lors de la fabrication du ciment pour le réinjecter dans une coulée fraîche de béton. Afin d’y parvenir, deux firmes, Heirloom Carbon Technologies et CarbonCure, ont traité chimiquement un amas de pierres calcaires pour ensuite le saturer en gaz à effet de serre. Le dioxyde résiduel s’est stocké dans quelques barils.

De son aveu, le haut dirigeant de CarbonCure, Rob Niven, a qualifié la réussite de « goutte dans l’océan ». N’empêche, l’expérience a suscité la curiosité dans l’industrie.

Chercheur en génie chimique à Polytechnique Montréal, et particulièrement intéressé par les technologies vertes et propres, Mohammad Latifi parle d’abord d’un « bon coup de publicité » de la part des deux entreprises américaines.

« Ces solutions ne sont pas durables parce qu’elles ne répondent pas aux risques environnementaux et sociaux, et parce que c’est très coûteux, précise-t-il. C’est une bonne idée sur papier, mais difficile à réaliser en pratique. Dans les faits, environ 0,005 % du CO2 émis lors de l’expérience a été réinjecté dans le béton », ajoute-t-il.

Nouveaux combustibles

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Combustible utilisé pour alimenter les fours de Ciment Québec

Chez Ciment Québec, situé dans la municipalité de Saint-Basile, près de Québec, le président-directeur général Luc Papillon affirme avoir réduit de 10 % l’empreinte de CO2 par tonne de ciment depuis 20 ans. Il vise des réductions de la même ampleur dans les prochaines années. Lors d’une visite, il a conduit La Presse jusqu’à un amoncellement de vieux dormants de chemin de fer (traverses en bois) provenant de l’Ouest canadien. Ils serviront de combustible pour chauffer la roche jusqu’à une température d’environ 1450 °C.

« Au lieu d’utiliser du gaz ou du charbon pour chauffer la pierre, on utilise aujourd’hui une foule de matières résiduelles, tout ce qui ne peut pas être enfoui. Il y a ces dormants, mais on utilise aussi les fins de ligne de recyclage de matériaux de construction. On a déjà brûlé les retailles servant à concevoir nos douches. On utilise donc les retailles de résine, mais aussi les rouleaux manqués de plastique aluminisé. »

Ingénieur chez Ciment Québec, Guillaume Lemieux explique que la prochaine étape consiste à réduire à la source les émissions de CO2. Une « usine dans l’usine » est d’ailleurs en chantier sur le site, explique-t-il.

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Guillaume Lemieux, ingénieur chez Ciment Québec

Nous travaillons sur le dioxyde de carbone qui s’échappe de la cheminée. Par exemple, on pourrait remplacer une partie de la pierre calcaire pour utiliser du béton usagé.

Guillaume Lemieux, ingénieur chez Ciment Québec

« Il y a aussi des travaux pour réduire la quantité de clinker [constituant du ciment] pour chaque tonne de ciment. »

Sauf qu’il y a une limite à la technologie à cause des coûts, estime M. Papillon. Il cite en exemple un géant pétrolier norvégien qui a entrepris de construire un gazoduc de 1000 kilomètres pour aller enfouir du CO2 au large, dans le fond de l’océan.

« On parle d’une centaine de millions de dollars, facilement. Et il faut se poser des questions sur les différents risques et impacts, les coûts et bénéfices. »

À Polytechnique Montréal, le professeur de chimie et spécialiste des technologies de captage du carbone Louis Fradette a dirigé une étude d’écologie industrielle pour Montréal-Est. Préoccupé depuis longtemps par la question, il estime que le défi est de parvenir un jour à capturer le CO2 au complet, et à grande échelle.

« Le béton est le plus beau matériau de construction que l’humanité ait jamais trouvé. C’est facile à produire, flexible, c’est fort, on sait comment le renforcer. Tout le monde sait comment travailler le béton. Mais c’est difficile de s’en départir. C’est comme si nous étions un peu prisonniers du ciment. »

Selon lui, il n’existe pas une seule avenue, mais plusieurs « petites victoires », un « bouquet de solutions » pour diminuer la quantité de gaz polluants.

Piètre bilan carbone

Le ciment détient l’un des pires « bilans carbone » du secteur industriel parce qu’il est le matériau le plus consommé dans le monde, à raison de quelque 150 tonnes par seconde, selon des données de l’Association mondiale du ciment et du béton (GCCA). Quatorze milliards de mètres cubes de béton sont coulés chaque année. Au Québec, près de 5 millions de tonnes métriques de ciment ont été fabriquées, en 2019, selon les chiffres de l’Institut de la statistique du Québec. Mais ça, c’était avant que plusieurs grands chantiers roulent à fond, dont les travaux du Réseau express métropolitain.

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