Les critères de développement durable se font toujours rares dans les appels d’offres publics, au Québec. L’innovation des entreprises d’ici en souffre, déplore l’une d’elles, impatiente de voir les changements annoncés porter leurs fruits.

Ses murs antibruit écologiques produits au Québec sont achetés par des organisations privées, mais Ramo peine à les vendre à des organismes publics.

L’entreprise de Saint-Roch-de-l’Achigan se heurte, comme bien d’autres, aux appels d’offres publics québécois, qui tardent à faire une place aux solutions durables.

Les organismes publics ont de « nobles intentions » et « paient cher » pour concevoir des projets écoresponsables, mais se basent encore sur des critères de performance et de prix lors des appels d’offres, déplore l’ingénieur Benjamin Walczak, associé et directeur de la division des écrans verts de Ramo.

Face à des produits dont les coûts environnementaux ne sont pas comptabilisés, les options écologiques ont peu de chances de succès dans les appels d’offres actuels, explique-t-il.

On ne cherche pas à être favorisés, on cherche à être évalués sur un même pied d’égalité. Si je perds un contrat face à un produit qui est tout aussi écologique, je n’ai pas de problème avec ça.

Benjamin Walczak, associé et directeur de la division des écrans verts de Ramo

Nombreuses sont les entreprises québécoises qui font le même constat, notamment dans le domaine de la construction, affirme l’avocate et professeure de droit à l’Université de Sherbrooke Geneviève Dufour, spécialiste de la question.

Les « beaux discours » n’ont pas de sens si « le gouvernement lui-même n’achète pas ce qui est le plus écologique », dit-elle, soulignant que les achats publics représentent 12 % du produit intérieur brut (PIB) de la province.

Contrats publics inaccessibles

Les murs antibruit de Ramo figuraient par exemple en 2017 dans une image de synthèse présentant une option possible pour une section du Réseau express métropolitain (REM), dans le secteur de Laval-sur-le-Lac, mais ils n’ont finalement pas été retenus dans le projet final.

IMAGE FOURNIE PAR LA CDPQ INFRA

Les murs antibruit en tiges de saule de Ramo sur une image de synthèse présentant une future section du REM

Une autre option avec un autre produit leur a été préférée par le consortium NouvLR, chargé de la construction du projet au terme d’un appel d’offres, pour des questions d’uniformité, de traitement architectural, de durée de vie et de performance, a expliqué à La Presse Emmanuelle Rouillard-Moreau, porte-parole de CDPQ Infra, la filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec qui pilote le projet du REM.

« Il n’y avait aucun critère environnemental » dans l’appel d’offres, se désole Benjamin Walczak, qui estime que le produit retenu, en polychlorure de vinyle (PVC), une matière produite à partir de pétrole, est « le plus bas de gamme » sur le marché.

Ramo a aussi vu lui échapper un contrat à Deux-Montagnes, le long de l’autoroute 640, où un mur antibruit en PVC a également été choisi, indique M. Walczak.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Un mur antibruit fait de saules de l’entreprise Ramo, installé près de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, à Montréal

Ramo vend donc ses murs antibruit essentiellement dans le secteur privé, qui a « plus de latitude » dans l’attribution de contrats, constate M. Walczak.

La lenteur du marché des contrats publics à prendre le virage vert freine l’innovation, estiment MDufour et M. Walczak.

Dans les pays où les appels d’offres publics intègrent des critères de développement durable, « c’est tout le marché qui se restructure », observe MDufour.

Si le plus gros acheteur dit : “Dorénavant, ça prend tel critère écologique”, eh bien, tout le monde s’y met.

Geneviève Dufour, avocate et professeure de droit à l’Université de Sherbrooke

La volonté de faire mieux se fait sentir, mais le changement arrive très lentement, estime Benjamin Walczak.

Accompagnement requis

Québec a modifié en 2022 la Loi sur les contrats des organismes publics, qui guide les méthodes d’approvisionnement, pour obliger les acheteurs publics à inclure au moins une disposition de développement durable, explique Geneviève Dufour, dont les modifications proposées à divers articles ont été incluses dans le texte.

C’est un début, dans un monde où on est déjà en retard de 15 à 20 ans.

Geneviève Dufour, avocate et professeure de droit à l’Université de Sherbrooke

Ces modifications sont une bonne chose, croit aussi M. Walczak, « mais encore faut-il se doter d’outils pour les appliquer », dit-il.

C’est d’ailleurs là la recette du succès des « champions du monde » que sont les Pays-Bas et la Corée du Sud, qui ont conçu des outils comme des logiciels qui intègrent des critères écologiques pour les appels d’offres, explique MDufour.

« Les acheteurs trouvent ça compliqué, il faut les accompagner, il faut simplifier les choses », estime-t-elle, soulignant que les responsables des achats publics ne peuvent pas être des experts en développement durable et « tout connaître ».

Les villes, autre cheval de bataille

Les villes et leurs sociétés de transport public ne sont pas concernées par la Loi sur les contrats des organismes publics et ne sont donc pas tenues d’inclure au moins un critère de développement durable dans leurs appels d’offres. Québec s’est limité à modifier en 2021 diverses lois, dont la Loi sur les cités et villes, pour les encourager à adopter un plan de développement durable, explique Geneviève Dufour. « C’est commencer à penser que, peut-être, un jour, il faudrait qu’elles pensent leurs affaires d’un point de vue du développement durable, raille-t-elle. On est encore très, très en retard. »