La proportion des champs de maïs et de soya ensemencés avec des variétés génétiquement modifiées pour résister aux pesticides a atteint un sommet au Québec.

En 2022, 81 % des 747 900 hectares de maïs-grain et de soya de la province ont été plantés avec des organismes génétiquement modifiés (OGM), révèlent les plus récents chiffres publiés par l’Institut de la statistique du Québec.

Il s’agit d’une légère hausse par rapport aux proportions enregistrées au cours des cinq dernières années, mais d’un bond spectaculaire par rapport à 2007, où le taux était plutôt de 51 %. Depuis leur introduction dans le système agricole québécois dans les années 1990, l’utilisation des OGM suit une tendance qui ne cesse de croître.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Thibault Rehn, coordinateur du groupe environnemental Vigilance OGM

« On pense que c’est inquiétant de voir qu’il y a de plus en plus d’OGM plantés au Québec, parce que quand on parle d’OGM, on parle aussi de pesticides », a déclaré Thibault Rehn, coordinateur du groupe environnemental Vigilance OGM.

Ce dernier souligne que les 196 pays réunis au Sommet mondial sur la biodiversité à Montréal débattent actuellement de l’idée de mettre en place une cible mondiale de réduction des pesticides, qui sont montrés du doigt pour leurs impacts néfastes sur les écosystèmes.

« À la COP15, un des objectifs proposés, c’est la réduction d’au moins de la moitié ou des deux tiers des pesticides […]. Toutes ces plantes sont faites pour tolérer un ou plusieurs herbicides, donc ça vient, à long terme, augmenter l’utilisation des herbicides, comme on le voit d’ailleurs avec les statistiques de vente du Québec. »

Deux types d’OGM

Il existe deux grandes catégories de semences OGM. La première comprend les plantes résistantes aux herbicides comme le glyphosate, souvent décrites comme des semences de type Roundup ready (Roundup étant l’une des marques sous lesquelles est vendu le glyphosate).

Les herbicides sont des pesticides qui servent à lutter contre les mauvaises herbes dans les champs. Ils peuvent être utilisés en tandem avec des semences génétiquement modifiées pour survivre à l’épandage du produit chimique, qui tue toutes les autres plantes.

La deuxième catégorie comprend les semences de maïs BT, en référence à Bacillus thuringiensis, bactérie naturelle dont on a extrait un gène qui permet de lutter contre plusieurs insectes ravageurs.

Le président des Producteurs de grains du Québec, Christian Overbeek, soutient que les maïs BT permettent de réduire l’usage de certains insecticides. Les insecticides sont des pesticides qui visent à tuer les insectes, les repousser ou les paralyser.

C’est de cette façon-là que l’on continue d’améliorer notre productivité tout en répondant à l’appel de diminuer un peu l’utilisation de certains pesticides, dont ceux qu’on sait plus dangereux que les autres : les insecticides. C’est la génétique des plantes qui nous permet de faire un geste semblable.

Christian Overbeek, président des Producteurs de grains du Québec

Selon la Coalition canadienne contre les ravageurs du maïs, qui regroupe des acteurs de l’industrie et des chercheurs, il y avait, en avril 2022, 23 sortes de maïs-grain BT offertes au pays. Ces variétés OGM permettent de lutter contre la pyrale, la chrysomèle, le ver gris, le ver de l’épi ou la légionnaire.

« Là, [la tendance], c’est ce qu’on appelle de l’empilement. On vend de nouveaux hybrides de maïs avec huit traits dedans : c’est-à-dire qu’on peut avoir une résistance à deux herbicides puis six différents traits de BT qui sont tous un petit peu différents », explique l’agronome Mathieu Leduc, qui est chargé d’enseignement au campus MacDonald de l’Université McGill. « C’est sûr qu’il y a une surcharge de prix pour la semence. Le producteur, lui, de l’autre côté, il achète la simplicité et, d’une certaine façon, une certaine garantie de succès », explique-t-il.

Le soya responsable de la hausse en 2022

C’est surtout la culture du soya génétiquement modifié qui a connu une augmentation notable en 2022 : 74 % des 386 800 hectares de soya plantés au Québec en 2022 l’étaient avec des semences OGM. Un record. En 2021, c’était plutôt 67 % des superficies.

« La proportion a augmenté un peu à cause des circonstances de marché », explique Christian Overbeek. « Il y a des producteurs qui ont abandonné ou réduit les superficies en soya non-OGM parce que le soya OGM trouve preneur à des prix qui donnent, à la fin, un résultat plus intéressant pour le producteur », ajoute-t-il.

Du côté du maïs-grain – la deuxième culture en importance au Québec après le foin –, c’était 88 % des superficies plantées avec des OGM en 2022, en légère baisse par rapport aux pics de 2019 et 2020 établis à 92 %, mais une hausse importante depuis 2007, où la proportion était de 52 %. Le maïs-grain sert à nourrir le bétail et à produire de l’éthanol.

Il existe aussi du canola génétiquement modifié, mais le Québec ne compile plus de données sur les superficies OGM depuis 2003.

Au point de vue écologique, ces monocultures, outre qu’elles sont OGM, ça veut dire une diminution de la biodiversité dans nos campagnes. Et bien sûr, avec l’usage massif de pesticides, ça veut dire une destruction des pollinisateurs et [la possibilité] que ça se retrouve dans nos cours d’eau.

Thibault Rehn, coordinateur du groupe environnemental Vigilance OGM

Tolérance aux herbicides

Le glyphosate est l’herbicide le plus vendu dans le monde. L’agronome Mathieu Leduc souligne que ce produit, qui a mauvaise presse, a aussi de bons côtés.

Il a facilité le travail des agriculteurs. C’est aussi un herbicide moins toxique que certains produits utilisés avant son apparition comme l’atrazine. Il permet en outre l’emploi de la technique du semi-direct, favorable à la santé des sols. Cette méthode permet d’abandonner le labour, un processus exigeant beaucoup d’énergies fossiles. Il favorise par ailleurs la mise en place de cultures de couverture l’hiver, qui sont bénéfiques pour combattre l’érosion et la surfertilisation.

Les gens ont souvent une obsession sur le glyphosate, mais si on regarde le bilan des ventes [de pesticides] en 2020, quand on a eu la COVID, il a manqué de glyphosate. Les gens ont utilisé d’autres produits de remplacement qui étaient plus toxiques pour l’environnement.

Mathieu Leduc, agronome

En revanche, note l’agronome, de plus en plus de mauvaises herbes ont développé une résistance à cet herbicide.

Selon le répertoire Sage-Pesticides, développé par le gouvernement du Québec, on recensait, en date d’octobre 2022, au moins cinq mauvaises herbes résistantes au glyphosate.

« [L’ennui], c’est qu’on utilise tellement de Roundup que ces plantes-là ne font que gagner du terrain », dit Mathieu Leduc.

Par conséquent, les agriculteurs se font désormais parfois conseiller de mélanger deux herbicides dans le réservoir de leurs épandeuses. « C’est comme les antibiotiques. C’est une course en avant pour toujours essayer de distancer la résistance. Ce n’est pas viable à long terme », pense-t-il.

La solution ? « Ça serait vraiment que les gens puissent revenir à d’autres méthodes, avoir une boîte à outils de plusieurs méthodes et que les outils chimiques et les organismes génétiquement modifiés soient juste un outil, au lieu d’être le seul », répond-il.