(Montréal) Le Canada doit éviter d’aggraver le lourd impact environnemental de l’exploitation des sables bitumineux et mettre en application ce qu’il prône à la 15conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15), plaident des nations autochtones et des organisations de défense de l’environnement.

Ottawa prévoit modifier la Loi sur les pêches pour permettre « le rejet d’effluents traités » provenant de l’exploitation des sables bitumineux dans la rivière Athabasca et ses tributaires, en Alberta, ce qui suscite l’inquiétude.

Il s’agit des eaux de traitement utilisées pour séparer le sable du bitume et produire du pétrole, qui contiennent différents métaux lourds et produits chimiques, et qui sont entreposées dans d’immenses bassins de résidus.

« On ne peut pas protéger la biodiversité pendant qu’on a des lois qui pourraient la compromettre ; on ne va pas la conserver d’un côté et la ruiner de l’autre », a déclaré à La Presse Aliénor Rougeot, responsable du programme climat et énergie de l’organisation non gouvernementale canadienne Environmental Defence.

Ottawa doit faire preuve de cohérence, a-t-elle dit en marge d’une présentation sur les sables bitumineux, jeudi, au Palais des congrès de Montréal.

Le Canada arrive très bien à être progressiste sur le papier, dans les discussions […] et pourtant, quand on a un cas concret, on voit que ce n’est plus du tout la même histoire.

Aliénor Rougeot, de l’organisation Environmental Defence

La Loi sur les pêches interdit de rejeter des substances toxiques dans des eaux qui abritent des poissons ou dans des eaux qui pourraient atteindre des eaux qui en contiennent, rappelle Mme Rougeot.

« Le gouvernement est en train, à la demande de l’industrie, de développer une réglementation qui ferait une exception à [cette interdiction] pour les sables bitumineux », s’inquiète-t-elle, déplorant le flou qui entoure le traitement que subiraient les effluents.

« On n’a pas eu une donnée qui nous montre le traitement, la liste de tous les produits chimiques », indique Mme Rougeot, qui réclame que l’évaluation des traitements proposés soit faite par un toxicologue indépendant.

« Ça ne peut pas être à l’industrie de dire que c’est sécuritaire », dit-elle.

Les nations autochtones qui vivent à proximité de l’Athabasca exigent que davantage d’études soient réalisées, indique Melody Lepine, porte-parole de la Première Nation crie de Mikisew.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Melody Lepine, porte-parole de la Première Nation crie de Mikisew

Aucune étude ne s’est penchée sur l’impact potentiel sur la santé, sur notre culture et notre mode de vie.

Melody Lepine, porte-parole de la Première Nation crie de Mikisew

Les nations autochtones réclament par ailleurs depuis des années un plan de réhabilitation des bassins de résidus des mines de sables bitumineux, mais elles se méfient du projet de traitement des eaux qu’ils contiennent pour les rejeter dans la rivière Athabasca.

« Ce qu’on comprend, c’est que l’industrie veut les rejeter non pas pour réhabiliter, mais pour remplir à nouveau les bassins en produisant plus, parce que ce serait plus compliqué d’aménager de nouveaux bassins », indique Aliénor Rougeot.

Or, les bassins « fuient déjà » et les effets cumulatifs d’éventuels rejets d’eaux dans la rivière sont méconnus, dit-elle.

« On a une rivière qui est déjà tellement polluée qu’on est déjà dans une zone assez dangereuse », estime Mme Rougeot.

« Une guerre » de l’eau

De 1975 à 2020, la superficie des bassins de résidus de l’industrie des sables bitumineux est passée de 2,4 à 307 kilomètres carrés, observait un rapport publié en mai par Environmental Defence et la section nord-albertaine de la Société pour la nature et les parcs (SNAP).

  • Les parcs à résidus de l’industrie des sables bitumineux s’étendaient en 1975 sur 2,4 km2.

    IMAGE TIRÉE DU RAPPORT « 50 ANS DE REJETS TENTACULAIRES »

    Les parcs à résidus de l’industrie des sables bitumineux s’étendaient en 1975 sur 2,4 km2.

  • Les parcs à résidus de l’industrie des sables bitumineux s’étendaient en 2020 sur 307 km2.

    IMAGE TIRÉE DU RAPPORT « 50 ANS DE REJETS TENTACULAIRES »

    Les parcs à résidus de l’industrie des sables bitumineux s’étendaient en 2020 sur 307 km2.

1/2
  •  
  •  

« Ces “étangs” à résidus sont situés dangereusement proche de la rivière Athabasca, l’une des grandes rivières canadiennes, qui coule à travers l’Alberta et les Territoires du Nord-Ouest pour rejoindre le fleuve Mackenzie, qui se jette dans l’océan Arctique », écrivait le rapport.

« L’eau ne respecte aucune frontière créée par les humains », a rappelé Tori Cress, responsable des communications de Keepers of the Water, une organisation qui milite pour la protection de l’eau.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Tori Cress, responsable des communications de Keepers of the Water

Nous allons avoir une guerre à propos de l’eau et je suis prête pour cette guerre, parce que c’est pour notre vie que nous nous battons.

Tori Cress, responsable des communications de Keepers of the Water

Ottawa et différentes communautés autochtones collaborent dans le cadre d’un comité de travail Couronne-Autochtones qui évalue les « solutions de rechange au rejet des effluents de l’exploitation des sables bitumineux ».

Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, suit le dossier « de très près », a-t-il dit à La Presse, affirmant sa volonté de bien faire les choses.

« Aucune décision n’est encore prise, et ne le sera avant la fin du travail du comité. Et ce sera basé sur la science et le savoir autochtone », a-t-il assuré.

Ce groupe de travail a élaboré une évaluation des solutions, qui « pourrait être confiée à des experts en gestion de l’eau dans le but de protéger l’environnement », a indiqué M. Guilbeault.

En savoir plus
  • 30
    Nombre de bassins de résidus de l’industrie des sables bitumineux en Alberta
    SourceS : Environmental Defence et Société pour la nature et les parcs