Québec exclut du comité chargé de concrétiser l’aire protégée de la rivière Péribonka l’organisme qui a porté le projet depuis 2010. En revanche, les opposants y auront leur siège, a appris La Presse.

« C’est une attitude méprisante envers les citoyens qui s’impliquent », se désole Ève Tremblay.

Le Comité de sauvegarde de la rivière Péribonka (CSRP), dont elle fait partie avec une quinzaine de bénévoles, pilote depuis 12 ans le projet d’aire protégée dans le secteur de la rivière Péribonka, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, que Québec a confirmé en juin dernier.

Mais leur groupe ne fait pas partie des 11 « intervenants du milieu » que le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) a conviés au comité chargé de finaliser le projet, même s’il avait expressément demandé d’en faire partie, a appris La Presse.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Ève Tremblay, membre du Comité de sauvegarde de la rivière Péribonka

Ce comité sera appelé à se pencher sur les « limites fines » du territoire à protéger, son statut de protection, sa gestion et sa mise en valeur ainsi que sur les principaux objectifs du plan de conservation, a indiqué le MELCC à La Presse, justifiant l’absence des idéateurs du projet par la présence dans le comité du Conseil régional de l’environnement et du développement durable du Saguenay–Lac-Saint-Jean.

On a travaillé énormément fort pendant plus de 10 ans, c’est sûr qu’on est encore intéressés à [contribuer].

Ève Tremblay, membre du CSRP

Mme Tremblay souligne l’expertise acquise par le groupe, « que personne d’autre ne peut avoir ».

Place aux opposants

Différents « intervenants du milieu » opposés au projet d’aire protégée siègent en revanche au comité formé par le MELCC, dont les quatre municipalités régionales de comté (MRC) du Lac-Saint-Jean, qui ont souvent appelé à un mode de protection du territoire permettant la poursuite des coupes forestières.

Même la MRC du Domaine-du-Roy, dont le territoire ne touche pas à l’aire protégée projetée, y a une place.

Son préfet Yannick Baillargeon est le président de l’Alliance Forêt boréale, une organisation paramunicipale qui a pour mandat de « défendre les intérêts des communautés forestières » et qui déplorait à pareille date l’an dernier que les aires protégées menacent l’industrie forestière régionale.

« M. Baillargeon ne donne pas d’entrevue sur ce sujet pour le moment », a indiqué à La Presse Karine Côté, porte-parole de la MRC.

On trouve également au sein du comité la Conférence régionale des préfets (des MRC), qui partage son personnel et ses bureaux avec l’Alliance Forêt boréale.

Ce sont ces organismes qui ont fait pression sur Québec pour écarter du comité le groupe de citoyens à l’origine du projet, ont indiqué à La Presse des sources au courant du dossier.

« Nous, on a dit sans nommer personne qu’on voulait un comité neutre », s’est défendu Aldé Gauthier, directeur général de l’Alliance Forêt boréale et de la Conférence régionale des préfets.

« On ne voulait pas d’organismes de pression » au comité, a-t-il déclaré, réfutant l’idée que l’Alliance Forêt boréale en soit elle-même un – il affirmait à ce moment que l’organisme siégait au comité, mais a rappelé La Presse en fin de journée pour indiquer s’être fait expliquer le contraire par le MELCC.

« On n’a pas demandé explicitement à ce que le Comité de sauvegarde [de la rivière Péribonka] ne soit pas présent », a ajouté M. Gauthier. « Si on a dit ça, j’aimerais voir l’écrit. »

De voir les opposants assis là et pas ceux qui ont initié le projet, c’est frustrant. On a travaillé tellement fort.

Ève Tremblay, membre du CSRP

Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, dont l’obstruction à la création d’aires protégées a souvent fait les manchettes, siège également au comité.

Lisez « Le ministère des Forêts a fait obstruction »

Des organisations favorables au projet ont aussi été invitées à s’y joindre : la communauté innue de Mashteuiatsh, l’Organisme de bassin versant Lac-Saint-Jean, le Créneau d’excellence en tourisme d’aventure et écotourisme ainsi que la municipalité de Lamarche, qui sera la porte d’entrée de l’aire protégée.

« Presque tout le monde est là, sauf l’organisation qui est l’origine de l’aire protégée. Une chance que le ridicule ne tue pas ! », s’est exclamé le biologiste et ingénieur forestier Louis Bélanger, professeur retraité de l’Université Laval et coresponsable de la commission Forêt de Nature Québec.

Détourner l’attention

Il y a au sein du comité une « surreprésentation du côté municipal », constate lui aussi Tommy Tremblay, directeur général du CREDD, qui se dit surpris de l’absence du Comité de sauvegarde de la rivière Péribonka.

Moi, je m’attends qu’à la première rencontre, on discute du mandat et de la représentativité.

Tommy Tremblay, directeur général du CREDD

L’exclusion des citoyens qui ont lancé le projet d’aire protégée pourrait détourner l’attention et compromettre « la légitimité des conclusions qui vont émaner des travaux de ce comité », craint le biologiste Alain Branchaud, directeur général de la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs (SNAP-Québec).

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le biologiste Alain Branchaud, directeur général de SNAP-Québec

Il ne s’offusque pas que les opposants au projet soient à la table de discussion, estimant que c’est « toujours une bonne idée d’avoir l’ensemble des points de vue », mais il anticipe que leur « omniprésence » fera en sorte que le comité parlera surtout des impacts sur la foresterie.

Ève Tremblay craint d’ailleurs que les opposants profitent du comité pour « essayer de grignoter un peu de superficie » de la future aire protégée.

Lisez notre dossier de l’année dernière « Le cas Péribonka »
En savoir plus
  • 8,4 %
    Proportion du territoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean bénéficiant d’une protection (8928 km⁠2)
    source : Registre des aires protégées au Québec, ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques
    235 km⁠2
    Superficie de l’aire protégée projetée dans le secteur de la rivière Péribonka
    source : ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques