Des bassins remplis de poissons, des dispositifs d’assainissement des eaux, des nourrisseurs automatisés… On s’attend à trouver ces installations près d’un cours d’eau ou en région. Mais elles se situent plutôt en plein cœur de Montréal, aux abords de l’autoroute 40.

« De l’autre côté de la ligne rouge, on met des bottes et un sarrau ! », lance Nicolas Paquin, à notre arrivée. Cofondateur d’Opercule, il nous accueille dans ses locaux bien cachés au sous-sol de La Centrale Agricole, une coopérative de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville. L’objectif : y produire 30 tonnes de poisson par année.

Sur place, l’homme nous montre près d’une dizaine de bassins. Pour le moment, quatre d’entre eux sont peuplés par des ombles chevaliers, un salmonidé d’eau douce. Ils vivent dans le seul endroit au Québec où l’on pratique la pisciculture urbaine, soit le fait d’élever des poissons à usage commercial en ville.

Ici, quelque 35 000 poissons vivent dans un environnement qui se veut le plus propre et sûr possible. « On a des caméras et un système de contrôle accessible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, souligne M. Paquin. On y a accès de la maison. Et on ne met pas d’antibiotiques ni d’hormones de croissance dans l’eau. Juste du sel pour les bactéries. L’eau de ville est souvent plus agressive et compte moins de pathogènes. »

« Les bassins viennent du Texas, on a pas mal de pièces qui viennent de Baton Rouge, en Louisiane, et il y a aussi de l’équipement de Norvège et d’Allemagne », explique-t-il en montrant différentes machines.

C’est le fun. C’est comme un gros aquarium. Tu vas au rythme des poissons, tu les regardes nager, tu les nourris. Entre ça et répondre à des courriels, c’est un différent train de vie.

Nicolas Paquin, cofondateur d’Opercule

Vocation verte

Dans une pisciculture traditionnelle, l’eau n’est habituellement pas récupérée. Elle est filtrée, puis rejetée dans l’environnement. Grâce à une combinaison de machines formant un circuit fermé, Opercule arrive à utiliser « de 100 à 200 fois » moins d’eau que la normale. Quelque 6000 litres d’eau par minute y sont en circulation, mais de cette quantité, seulement 14 litres par minute sont remplacés : un taux de récupération d’environ 99,8 %.

« J’ai toujours eu cette fibre écologique », affirme l’autre fondateur d’Opercule, David Dupaul-Chicoine, en entrevue téléphonique. « Ma vision de l’entreprise, c’est ça depuis le début : avoir une perspective de développement durable, mais pour vrai. Pas juste des petits points qui paraissent verts pour avoir de bonnes ventes. »

Dans chaque décision qu’on prend, cet aspect [environnemental] est très présent.

David Dupaul-Chicoine, cofondateur d’Opercule

Opercule prévoit amorcer la commercialisation de ses produits en décembre.

Toujours dans une optique verte, l’entreprise envisage un partenariat avec La roue libre, un service de livraison montréalais qui transporte la marchandise en vélo électrique. Pour l’emballage, M. Dupaul-Chicoine planifie de s’entendre avec la société québécoise Cascade, qui fabrique des boîtes en carton recyclables laminées avec film réfléchissant.

Montréal, un pur hasard

Respectivement originaires de Québec et de Montréal, Nicolas Paquin et David Dupaul-Chicoine se sont rencontrés à l’École des pêches et de l’aquaculture du Québec, à Grande-Rivière, en Gaspésie. L’ingénieur et le musicien de formation se sont tous les deux réorientés vers la pisciculture en 2016.

À la base, ils souhaitaient s’établir dans la région, jusqu’à ce qu’ils réalisent que Montréal remplissait les conditions idéales pour une pisciculture.

« Un bassin versant sans surplus de phosphore, une usine d’épuration d’eau, la proximité avec les restaurateurs. Chaque fois qu’on avait un problème, Montréal le réglait », indique Nicolas.

Jeter les bases du projet s’est avéré un processus de longue haleine. Dans le garage de David, ils ont d’abord mené un projet pilote à petite échelle, avant d’emménager dans les locaux qu’ils occupent actuellement en 2019.

En janvier 2021, le duo a obtenu ses permis et des subventions du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec. En novembre, il recevait les premiers œufs de poisson.

« La mise en marché qui approche, je trouve ça excitant, mais stressant un peu. […] On voit grandir quelque chose », conclut David.

En savoir plus
  • De 600 à 900 tonnes
    Volume de production annuel qu’Opercule vise, à long terme. Pour cela, il faudra nécessairement déménager. Mais ce n’est pas pour tout de suite.
    Source : Opercule