À Salaberry-de-Valleyfield, des entrepreneurs délinquants continuent d’épandre des pesticides de synthèse dans des quartiers résidentiels, bien que ce soit interdit depuis 11 ans. Comme d’autres localités au Québec, la municipalité de la Montérégie tente de tenir tête aux récidivistes. Mais le défi est grand, et les ressources, limitées.

Une lutte sans trêve contre les récidivistes

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Quatre entreprises ont vu leur certificat d’enregistrement de la Ville de Salaberry-de-Valleyfield suspendu cette année après avoir été trouvées en infraction l’été dernier.

Onze ans après avoir interdit les pesticides de synthèse dans ses quartiers résidentiels, Salaberry-de-Valleyfield constate que plusieurs entreprises continuent à en appliquer, souvent à l’insu des citoyens. Faire respecter un tel règlement exige énormément de ressources d’une petite ville, témoigne la municipalité.

« On essaie d’appliquer une règlementation, mais l’industrie ne va pas en diminuant. Malgré tous les efforts qu’on fait, les citoyens ne sont pas moins à risque qu’il y a 10 ans », dénonce Marie-Lou Lacasse, responsable des sections foresterie urbaine, horticulture et biodiversité au service de l’environnement de Salaberry-de-Valleyfield.

Les entrepreneurs qui veulent utiliser des produits pour le gazon ou contre les araignées en zone résidentielle et urbanisée doivent obtenir un certificat d’enregistrement annuel de la Ville, par lequel ils s’engagent à ne pas utiliser de pesticides de synthèse. Pour s’en assurer, le service de l’environnement effectue des contrôles-surprises au moment de l’application.

« On a eu des échantillons positifs à des pesticides de synthèse pour chacune des années depuis 2012 », déplore la conseillère en environnement.

Près d’une dizaine d’ingrédients actifs interdits à Salaberry-de-Valleyfield ont ainsi été détectés. Les plus fréquents sont des insecticides (perméthrine et clothianidine). Du dicamba, un herbicide, a aussi été découvert l’été dernier.

« Une application de pesticides de synthèse vient directement mettre à risque la santé du citoyen, des voisins et de notre environnement », souligne Mme Lacasse.

D’autant que les entreprises délinquantes ne respectent pas toujours les précautions requises.

« Quand on fait une application de perméthrine, toutes les ouvertures devraient être fermées pour empêcher le produit de pénétrer dans la résidence. Mais ce n’est pas ce qu’on voit », dit Mme Lacasse, dont l’équipe a signalé un cas où on « appliquait chez une citoyenne toutes fenêtres ouvertes » l’an dernier.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Marie-Lou Lacasse, responsable des sections foresterie urbaine, horticulture et biodiversité au service de l’environnement de Salaberry-de-Valleyfield

L’autre chose qui me choque, c’est que ceux qui réalisent les applications pour ces entreprises sont souvent des jeunes dont c’est l’emploi d’été, et ils n’ont aucun équipement de protection adéquat !

Marie-Lou Lacasse, responsable des sections foresterie urbaine, horticulture et biodiversité au service de l’environnement de Salaberry–de-Valleyfield

Monter un dossier qui tienne la route en cour municipale n’est cependant pas une mince affaire pour une petite municipalité.

« Juste au service de l’environnement, c’est un minimum de 30 heures de travail par dossier », note Mme Lacasse. Les analyses en laboratoire (de 500 à 700 $ par groupe de pesticides) et le témoin expert requis en cour ajoutent à la facture.

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Échantillon prélevé sur une pelouse ayant fait l’objet d’une application de produits, semblable à ceux que le service de l’environnement de Salaberry-de-Valleyfield envoie analyser en laboratoire pour détecter l’usage de pesticides de synthèse interdits dans ses quartiers résidentiels

Si l’homologation des pesticides est de compétence fédérale, les provinces et les municipalités ont le droit d’adopter des règlements plus sévères. Le défi, c’est de faire appliquer la réglementation. Pour ce faire, « les municipalités doivent disposer des ressources adéquates, ce qui n’est pas toujours le cas, notamment dans les municipalités moins populeuses », déplore l’Union des municipalités du Québec à La Presse.

Entreprises prises en défaut

À Salaberry-de-Valleyfield, sur cinq entreprises testées l’an dernier, quatre ont été reconnues coupables, dont une qui n’avait pas de permis municipal. Et la cinquième aurait peut-être été trouvée en défaut si l’analyse avait été demandée pour un autre ingrédient actif, soupçonne Mme Lacasse.

Les quatre entreprises coupables ont été mises à l’amende (714 $ au minimum en incluant les frais) et ont vu leur enregistrement suspendu pour un an. Trois d’entre elles avaient pourtant déjà été trouvées en infraction auparavant…

Pour couper l’herbe sous le pied des récidivistes, Salaberry-de-Valleyfield tente une nouvelle approche cette année : outiller les citoyens. Elle a publié les noms des quatre entreprises suspendues sur son site web et suggéré des questions à poser aux autres sur les mesures de protection et les ingrédients actifs utilisés, par exemple.

PHOTO FOURNIE PAR LA VILLE DE SALABERRY-DE-VALLEYFIELD

Marie-Christine Labranche, greffière à la cour municipale de Salaberry-de-Valleyfield

« Parfois la facture, la soumission ou l’information préalable n’a jamais fait mention qu’il allait y avoir application de pesticides », explique Marie-Christine Labranche, greffière à la cour municipale.

Environ la moitié des contrôles sont faits en réponse à des plaintes de citoyens, et les autres sur des travailleurs en action repérés lors d’une patrouille. « On en voit de toutes les couleurs : des véhicules non identifiés, des gens qui font l’application sans avoir le certificat sur eux. On regarde parfois les numéros de plaque des véhicules pour essayer de retracer la compagnie, mais ça demande des efforts, ce n’est pas si simple », note la greffière.

D’autres petites localités se sont informées de l’expérience de Salaberry-de-Valleyfield, mentionnent Mmes Labranche et Lacasse. « Une des grosses problématiques, c’est qu’elles n’ont pas beaucoup de ressources à l’interne », souligne MLabranche, qui a agi comme procureure pour d’autres municipalités dans le passé.

Si c’est comme ça dans une ville où on fait des efforts, imaginez ce que ces entreprises font dans les autres municipalités du Québec.

Marie-Lou Lacasse, responsable des sections foresterie urbaine, horticulture et biodiversité au service de l’environnement de Salaberry –de-Valleyfield

Pour Mme Lacasse, ça ne fait pas de doute.

« Ailleurs, ils font la même chose : les citoyens reçoivent les mêmes produits sur leur terrain, dans leurs fenêtres. On a un enjeu de santé publique ! »

Infractions d’affichettes

Hormis l’interdiction des pesticides de synthèse, la majeure partie du Règlement sur les pesticides de Salaberry-de-Valleyfield provient du Code de gestion des pesticides du Québec, dont les affichettes à planter sur les terrains traités. « Des infractions d’affichettes, on en voit plusieurs dizaines par année. On en émet parce que si on ne le fait pas, elles ne sont jamais données », souligne Mme Lacasse.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Après l’application, les entrepreneurs doivent poser une affichette conforme au Code de gestion des pesticides

Les entrepreneurs qui utilisent des pesticides doivent pourtant détenir un certificat du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC), nécessitant la réussite d’un examen.

Québec devrait donc s’impliquer davantage, estime la conseillère en environnement.

« Le Code de gestion, c’est nous qui l’appliquons présentement. On ne devrait pas se retrouver avec l’entière charge de travail ! »

Consultez la liste des entreprises suspendues à Salaberry-de-Valleyfield

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Nombre de municipalités ayant leur propre règlement sur l’usage des pesticides

Source : ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, janvier 2022 (les municipalités n’étant pas tenues d’informer le Ministère, le nombre pourrait être plus élevé)

Une belle pelouse, mais à quel prix ?

Photo Alain Roberge, LA PRESSE

Quartier résidentiel de Salaberry-de-Valleyfield, en Montérégie

Perméthrine, clothianidine, dicamba… Qu’est-ce qui se cache derrière ces noms imprononçables ? Et quels sont leurs risques pour l’humain et pour l’environnement ?

Vous avez dit clothianidine ?

Pour faire simple, les pesticides de synthèse sont des versions sur les stéroïdes (et conçues en laboratoire) d’ingrédients actifs naturels. « Souvent, on s’inspire de molécules qui existent dans la nature, mais on va les modifier pour les rendre plus toxiques, plus persistantes, plus efficaces », explique Louise Hénault-Éthier, professeure associée à l’Institut national de la recherche scientifique.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Louise Hénault-Éthier, professeure associée à l’Institut national de la recherche scientifique

Dans les quartiers résidentiels, on s’en sert pour éliminer les mauvaises herbes ou repousser les visiteurs à six pattes (ou plus) indésirables. « L’utilisation la plus problématique, c’est vraiment pour l’entretien de la pelouse », affirme Mme Hénault-Éthier.

Quels sont les risques ?

L’été arrive, et avec lui, l’envie d’avoir une belle pelouse verte. Mais à quel prix ? L’application de pesticides de synthèse peut poser des risques pour l’environnement et pour la santé humaine. Le niveau de toxicité dépend de la molécule elle-même, de sa concentration et de l’exposition (est-ce qu’on la respire ? l’ingère ? est-ce que l’exposition est aiguë ? chronique ?), énumère la spécialiste. Prenons l’exemple de la clothianidine, détectée à Salaberry-de-Valleyfield, qui en interdit pourtant l’utilisation. Cet insecticide de la grande famille des néonicotinoïdes, mieux connus sous le nom de « tueurs d’abeilles », perturbe le système immunitaire et entraîne des problèmes au système endocrinien chez les animaux. Le dicamba, lui, est un herbicide très volatil qui peut « se déplacer et causer des dommages à la végétation à des kilomètres » de l’endroit où il a été appliqué, indique Mme Hénault-Éthier. Pour ce qui est de la perméthrine, très toxique pour les chats, l’autorité réglementaire du Canada lui reconnaît un effet cancérogène probable chez l’humain, mais estime le risque acceptable dans le contexte d’une exposition en milieu résidentiel.

Comment se protéger ?

Si vous êtes toujours tenté d’utiliser un herbicide ou un insecticide (dans le cas où votre municipalité le permet), des précautions s’imposent. Louise Hénault-Éthier recommande d’avertir ses voisins, de fermer les fenêtres de la maison et d’éviter de circuler sur la pelouse après l’application. Les travailleurs qui s’exposent régulièrement aux pesticides de synthèse doivent être extrêmement minutieux et porter des gants et un masque. Même bien équipé, il faut rester prudent. « Les équipements de protection individuelle ne sont pas systématiquement testés. Ils ne sont pas toujours efficaces et dans ce cas-ci, le travailleur ne fait plus autant attention », prévient Mme Hénault-Éthier.