Depuis la découverte d’un premier élevage contaminé par la grippe aviaire le 12 avril au Québec, six autres se sont ajoutés. La situation est pire ailleurs au Canada, où plus d’une soixantaine de foyers d’éclosion ont été relevés. Le point sur l’épizootie en cours.

D’où provient cette nouvelle souche de la grippe aviaire ?

Le temps qui se réchauffe ramène avec lui les oiseaux migrateurs qui débarquent parfois avec quelques surprises dans leurs bagages… « Les oiseaux sont souvent porteurs d’un ensemble de souches de virus », dit le DJasmin Villeneuve, médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). « Parmi celles qui s’attaquent principalement aux humains, il y a les souches H1 et H3, qui circulent habituellement l’hiver. » Le virus H5N1 est d’une autre catégorie. Extrêmement contagieux chez les volailles, certains variants peuvent tuer 80 % des animaux d’un élevage. Il peut aussi contaminer les humains. Entre 1996 et 2015, environ la moitié des personnes qui ont attrapé le variant de H5N1 qui circulait alors en Asie en sont mortes. « Le variant de H5N1 qu’on a présentement en Amérique du Nord est celui qui est présent en Europe depuis l’automne 2020. Il est un peu différent de celui qu’on a vu en Asie et qui circulait avant 2015 », dit le DVilleneuve. Dans le jargon de la grippe aviaire, contrairement à celui de la COVID-19, les variants sont appelés « clades » et portent des numéros plutôt que des noms de lettres grecques. Le virus H5N1 qui circule actuellement est ainsi le « clade 2.3.4.4b ». « Et les analyses ont montré que ce variant, assez différent de celui qu’on a vu en Asie, engendre des infections chez les oiseaux, mais semble causer moins d’infections chez l’humain. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le premier cas d’infection humaine a été rapporté en Grande-Bretagne en décembre dernier chez un retraité de 79 ans qui élevait des canards.

Comment la grippe aviaire se transmet-elle aux humains ?

Les cas d’infection humaine de grippe aviaire qui ont été rapportés en lien avec la souche qui circule actuellement concernent des personnes qui ont été en contact avec les oiseaux. Le premier cas a été rapporté en Grande-Bretagne en décembre dernier chez un retraité de 79 ans qui élevait des canards. Fin avril, les autorités sanitaires américaines ont annoncé un premier cas d’infection chez un travailleur d’abattoir du Colorado. La personne infectée, dont la fatigue était le seul symptôme de la maladie, est déjà guérie après avoir été traitée avec un médicament antiviral. « Le rythme d’infection est très faible, mais on le surveille », dit le DVilleneuve. « Comme pour la COVID-19, quand une mutation apparaît et qu’elle devient plus infectieuse, on veut la voir venir avant qu’elle se répande. » Des vaccins contre l’influenza ont été développés, mais aucun ne s’attaque spécifiquement aux variants qui circulent actuellement. « Comme il y a très, très peu de cas chez les humains, je ne pense pas que la priorité des autorités soit de développer un vaccin pour ça. » Pour se protéger du virus, les experts recommandent de porter attention à la désinfection lorsqu’on est en contact direct avec les oiseaux morts ou vivants. Pour le consommateur de volaille ou d’œufs, pas de souci : les produits d’élevages contaminés sont détruits, et s’il faut bien faire cuire le poulet, c’est qu’il faut davantage craindre la bactérie salmonelle que le virus de la grippe.

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La production d’œufs et de volaille, contrairement à la production porcine, est sous gestion de l’offre au Canada.

Une hausse des prix à prévoir ?

S’il y a moins de volaille sur le marché en raison de l’épizootie, faut-il s’attendre à une hausse des prix des œufs et du poulet ? Pas nécessairement. « Les dangers potentiels reliés aux épizooties peuvent influencer les prix », explique Bruno Larue, professeur au département d’économie agroalimentaire de l’Université Laval. En 2014, une épidémie de diarrhée dans les porcheries américaines avait propulsé une hausse de la viande de porc également au Canada – le prix du porc au Québec est ajusté sur celui des États-Unis. « Les prix ont diminué lorsque les autorités américaines ont réalisé que le problème n’était pas aussi grave qu’anticipé », rappelle M. Larue. Dans ce cas-ci, le prix des œufs aux États-Unis pourrait en effet être touché par les risques associés à la grippe aviaire. Mais la production d’œufs et de volaille, contrairement à la production porcine, est sous gestion de l’offre au Canada. « Les prix sont fixés en fonction des coûts de production. Dans ce cas-ci, c’est le coût de l’alimentation qui fait augmenter les prix. » Pour savoir si le prix des œufs augmente à l’épicerie, il faut donc plutôt regarder ce que mangent les poules… « Comme le prix des céréales a fortement augmenté dans les dernières semaines (maïs, blé en particulier), cela se répercute sur le prix des œufs. »

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Dr Denis Archambault, professeur de biologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM)

Vacciner les poulets, une solution envisageable ?

Au Canada, les poussins sont vaccinés contre plusieurs maladies, dont la maladie de Marek (causée par un virus cancérigène). Mais aucun vaccin contre la grippe aviaire n’est encore homologué. « La difficulté, quand on développe un vaccin chez le poulet, il faut que les coûts soient vraiment minimes, soit quelques sous de la dose. Sinon, ça ne vaut pas la peine », dit le professeur de biologie Denis Archambault, de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ce dernier a justement travaillé au développement d’un vaccin universel qui protégerait les volailles contre plusieurs souches de la grippe aviaire. Le financement de ses travaux a cependant été interrompu avant la pandémie, déplore le chercheur. En France, où les autorités sanitaires ont commencé à tester un vaccin sur les canards, on ne s’attend pas à pouvoir inoculer les volailles à grande échelle avant l’hiver 2023-2024.