Présents dans les eaux usées, les perturbateurs endocriniens dérèglent les systèmes hormonaux des animaux aquatiques. Une équipe de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) souhaite implanter un outil permettant de mieux évaluer les effets toxiques de ces produits chimiques.

La méthode que proposent Julie Robitaille, doctorante en science de l’eau, et Valérie Langlois, professeure à l’INRS, a la particularité de mesurer directement l’effet combiné des perturbateurs.

Des polluants omniprésents

« Perturbateur endocrinien » est un terme large. Il désigne tout contaminant qui interfère avec le système endocrinien des humains et des animaux, c’est-à-dire avec leurs hormones.

« Le système hormonal est en général finement régulé, explique Julie Robitaille. En perturbant le fonctionnement de ce système, ces produits peuvent créer des problèmes de reproduction, de croissance, de fertilité, etc. »

Ces polluants sont partout : dans les pesticides, les plastifiants, les médicaments. « Lorsqu’une femme prend la pilule contraceptive, par exemple, une certaine partie va se retrouver dans son urine et éventuellement arriver dans les cours d’eau, souligne Julie Robitaille. Les poissons n’ont pas demandé d’avoir de la contraception, mais le médicament fonctionne sensiblement de la même façon sur eux. »

Partant de l’humain, des industries ou des terres agricoles, ces contaminants s’accumulent dans les eaux usées. « À peu près tous les perturbateurs auxquels nous sommes exposés finissent par se retrouver dans ces eaux », soutient Jonathan Chevrier, professeur de science de la santé environnementale à l’Université McGill.

De grandes quantités parviennent à échapper au traitement des eaux. On observe ainsi de nombreux effets nocifs sur la survie des espèces aquatiques, comme la féminisation chez les poissons et la diminution de la taille des œufs.

Un système défaillant

Si autant de perturbateurs aboutissent dans les écosystèmes aquatiques, c’est en partie en raison de la manière d’établir les limites de polluants dans le traitement des eaux usées. Pour calculer les seuils, on donne à des animaux des doses croissantes de polluants jusqu’à observer un effet toxique.

« Le problème avec les perturbateurs endocriniens est qu’ils ont des mécanismes d’action différents des polluants normaux, explique Isabelle Plante, codirectrice du Centre intersectoriel d’analyse des perturbateurs endocriniens. On ne va pas nécessairement observer d’effets toxiques intenses, mais une exposition constante à de faibles doses peut avoir des conséquences importantes sur la reproduction et les systèmes métaboliques. »

Un autre facteur de taille est négligé par ces tests : l’effet combiné des produits. « Des fois, chaque contaminant respecte les critères, mais c’est quand on les met ensemble qu’ils vont avoir des effets sur les hormones », souligne Valérie Langlois.

Changer les façons de faire

Valérie Langlois et Julie Robitaille travaillent à implanter un outil pour pallier quelques failles du système actuel. La méthode qu’elles utilisent mesure directement l’effet combiné des perturbateurs sur les systèmes hormonaux.

Ces chercheuses de l’INRS modifient génétiquement des cellules humaines pour les rendre sensibles à la présence de certaines hormones. Les cellules émettent de la lumière lorsqu’elles sont affectées par les perturbateurs endocriniens. « Ça ne va pas nous dire ce qu’il y a dans le mélange, observe Julie Robitaille. Ça va plutôt nous dire si on doit s’inquiéter ou non de nos eaux usées, donc si on doit faire quelque chose. »

Dans un article paru récemment dans la revue Environmental Research, les chercheuses ont démontré l’efficacité de leur approche. Leur but est maintenant d’utiliser cette méthode pour améliorer les infrastructures de traitement des eaux au Québec et ailleurs dans le monde. Déjà, des partenaires provinciaux, municipaux et industriels répondent à l’appel.