Pour atteindre sa cible, Ottawa doit revoir à la hausse ses exigences, selon une évaluation gouvernementale

(Ottawa) Le gouvernement Trudeau devra serrer considérablement la vis à l’industrie pétrolière et gazière au Canada s’il veut atteindre son objectif de réduire les émissions de 40 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030, a appris La Presse.

Sans l’adoption de nouvelles mesures contraignantes touchant ce secteur, qui représente 26 % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) au pays, le Canada risque de rater l’objectif qu’il s’est engagé à atteindre auprès de l’Organisation des Nations unies en juillet 2021, soit une réduction de 40 à 45 % des émissions.

Selon une évaluation menée par le ministère fédéral de l’Environnement, la réduction des émissions de GES atteindrait à peine 34 % si Ottawa ne revoit pas à la hausse ses exigences face à cette industrie, a confirmé une source gouvernementale qui a requis l’anonymat parce qu’elle n’était pas autorisée à discuter publiquement de ce dossier. Et cette réduction moins importante tient compte de toutes les mesures annoncées jusqu’ici, notamment le plan environnemental du gouvernement Trudeau dévoilé en 2020 et les mesures contenues dans le budget fédéral de 2021.

Si on ne demande pas au secteur du pétrole et du gaz d’en faire plus, on ne pourra pas atteindre une réduction de 40 %. Mathématiquement, ça ne marche pas.

Une source gouvernementale

Le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, doit présenter un nouveau plan sur le climat d’ici la fin du mois de mars. Ce plan doit détailler comment le gouvernement fédéral compte atteindre ses objectifs en matière de réduction de GES d’ici la fin de la présente décennie. Le gouvernement Trudeau s’est aussi engagé à ce que le Canada parvienne à la carboneutralité d’ici 2050. Il a même adopté une loi à cet effet en juin dernier, qui coule aussi dans le béton législatif les cibles de réduction entre 40 % et 45 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030, et une révision des cibles tous les cinq ans à partir de 2025.

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Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement du Canada

Selon nos informations, le ministre Guilbeault entend imposer des règlements plus exigeants au secteur du pétrole et du gaz, notamment en plafonnant les émissions de GES pour l’industrie des énergies fossiles, puis en les réduisant. Résultat : cette industrie sera appelée à réduire ses émissions de 35 % d’ici 2030 au lieu de seulement 18 % dans les premiers calculs du gouvernement Trudeau.

Durant la dernière campagne électorale, les libéraux ont promis d’imposer au secteur pétrolier et gazier un plafonnement des émissions et une réduction graduelle jusqu’à ce qu’elles atteignent la carboneutralité en 2050. Dans le passé, les groupes environnementaux ont souvent reproché au gouvernement fédéral d’être un cancre en matière de lutte contre les changements climatiques en raison de l’absence de réglementation sur les émissions du secteur pétrolier et gazier.

« Si on ne demande pas à ce secteur d’en faire plus, on ne pourra jamais atteindre nos cibles si en plus on continue d’ajouter de nouveaux projets pétroliers », a ajouté cette source gouvernementale.

Rapport alarmant du GIEC

Le ministre Guilbeault doit dévoiler son nouveau plan environnemental dans la foulée de la publication du dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), qui prévient que les conséquences du réchauffement climatique sont plus rapides et plus importantes qu’on ne le croyait jusqu’à maintenant.

« L’étendue et l’ampleur des impacts des changements climatiques sont plus importantes qu’estimées dans les précédentes évaluations », a affirmé le GIEC dans son rapport publié la semaine dernière.

« Tout nouveau retard dans la mise en œuvre d’une action préventive, concertée et mondiale, en matière d’adaptation et d’atténuation, nous fera rater une fenêtre d’opportunités brève et se refermant rapidement, permettant de sécuriser un avenir vivable et durable pour tous », y ajoutait-on.

Projet d’exploitation Bay du Nord

Qui plus est, M. Guilbeault doit statuer sur un ambitieux projet de construction d’une nouvelle plateforme de forage pour la production de pétrole et de gaz dans la passe Flamande, à environ 500 kilomètres à l’est de Terre-Neuve, d’ici 40 jours.

Le projet d’exploitation Bay du Nord, qui est piloté par la société norvégienne Equinor, aurait une durée de vie d’environ 30 ans et permettrait d’extraire 1 milliard de barils de pétrole grâce à la construction d’une installation flottante dans l’océan Atlantique.

Radio-Canada a rapporté récemment que le cabinet fédéral était très divisé sur cette question. Cela explique d’ailleurs pourquoi la décision, qui devait être annoncée le 6 mars, a été reportée de 40 jours.

La majorité des ministres du Québec s’y opposent, conscients que cela pourrait tailler en pièces leur crédibilité en matière de lutte contre les changements climatiques. Mais des ministres influents comme la ministre des Finances, Chrystia Freeland, tout comme le ministre du Travail, Seamus O’Regan, y sont favorables, selon Radio-Canada.

Je ne vois pas comment au Québec on pourrait défendre ce projet. Cela va à l’encontre de tout ce qu’on a prôné pendant la dernière campagne électorale. Politiquement, c’est indéfendable.

Une source libérale à La Presse

Durant la dernière campagne, les libéraux de Justin Trudeau ont dit être prêts à rejeter tout projet d’exploitation pétrolière et gazière qui ne permettrait pas au Canada de respecter l’objectif de réduire les émissions de GES de l’industrie des énergies fossiles.