Reconnaître que notre mode de vie a de trop grandes répercussions négatives sur les changements climatiques ne nous pousse pas à vouloir le changer. Pourquoi ? Une nouvelle étude espagnole montre qu’un mécanisme de comparaison sociale est en jeu.

Plus d’essence qu’il y a 20 ans

Les Québécois prennent davantage l’avion, consomment collectivement plus d’essence et achètent davantage de camions et de VUS qu’il y a 20 ans, alors que l’urgence de s’attaquer à la crise climatique est devenue impossible à ignorer. Comment expliquer cette apparente contradiction ? Laura Pasca García, professeure au département de psychologie sociale de l’Université Complutense de Madrid et coauteure d’une récente étude sur la question, note qu’un mécanisme subtil d’autojustification est à l’œuvre. « Les gens savent que l’incidence [de leurs comportements] sur l’environnement est plus importante que ce qui est acceptable, mais ils estiment que l’incidence du comportement des autres est pire encore, et ça diminue leur propre sentiment de culpabilité quant à leurs choix, dit-elle. En d’autres termes, dans notre esprit, nous nous comportons mal, mais, par rapport aux autres, nous ne nous comportons pas si mal. »

Culpabilité

Pour arriver à ces conclusions, Mme Pasca García et la coauteure Lucía Poggio ont fait remplir un questionnaire à un groupe de 198 participants représentatifs de la population espagnole. Les répondants devaient répondre à des questions sur leur propre incidence sur le climat ainsi que sur celle d’autres membres de la société. Collectivement, les répondants ont attribué une répercussion plus élevée aux comportements des autres qu’à leurs propres comportements. Ils ont aussi établi le seuil des comportements jugés acceptables, seuil qu’ils dépassaient eux-mêmes. « C’est dans l’écart entre les comportements acceptables et les comportements rapportés par les gens que se trouve ce sentiment de culpabilité », écrivent les chercheuses dans leur étude intitulée Biased Perception of the Environmental Impact of Everyday Behaviors (que l’on peut traduire par Perception subjective de l’effet sur l’environnement des comportements quotidiens).

Pas de « masque »

L’une des difficultés inhérentes à la lutte contre les changements climatiques est qu’il n’y existe pas d’instructions claires et objectives sur la façon de se comporter afin de les combattre de façon individuelle, note Mme Pasca García. « Par exemple, en ce qui concerne la COVID-19, nous savons qu’avec des masques et la distanciation physique, nous pouvons éviter la contagion. Mais il n’y a pas de masque pour éviter le réchauffement climatique. » D’une part, il faut changer les comportements dans la plupart des domaines de notre vie, donc l’effort à fournir est souvent contraignant, fait-elle remarquer. « D’autre part, nous avons tendance à justifier nos choix afin de protéger l’image que nous avons de nous-mêmes. Nous nous disons que nos bons comportements compensent nos mauvais, même si ce n’est pas le cas. »

Véhicules verts

La chercheuse note que les gros véhicules comme les VUS et les camions sont de plus en plus populaires, mais que de nombreux acheteurs optent pour des versions hybrides. « On a l’autojustification du fait d’acheter un véhicule hybride pour réduire la culpabilité [suscitée par le fait] d’acheter un véhicule à essence. » L’une des conséquences de ce choix est peut-être d’amener les gens à croire que le fait de conduire un véhicule à essence n’est pas si grave, dit-elle. « Pourtant, des études montrent que les conducteurs de véhicules dits verts les utilisent davantage que les conducteurs de véhicules conventionnels. »

Fausses croyances

Comment surmonter cet obstacle psychologique et passer des pensées aux actions ? Mme Pasca García note que savoir que notre cerveau cherche automatiquement à minimiser notre propre incidence est déjà une avancée. « Pour que les préoccupations relatives aux changements climatiques conduisent à des changements concrets dans notre mode de vie, il serait nécessaire de supprimer toutes les fausses croyances et ces justifications, qui agissent comme des barrières au changement. De la même manière, il serait souhaitable, à plus grande échelle, de faciliter l’adoption de comportements pro-environnementaux plutôt que ceux qui sont nuisibles. »

Comment minimiser son rôle dans la crise climatique ?

  • Éviter de conduire un véhicule utilitaire sport (VUS), qui émet près de deux fois plus de CO2 qu’une voiture familiale récente permettant d’accueillir le même nombre de passagers. La popularité grandissante des VUS est la deuxième cause de la hausse des émissions de CO2 dans le monde au cours de la dernière décennie, selon l’Agence internationale de l’énergie.
  • En cas de déménagement, choisir une demeure située à moins de 30 minutes de marche, de vélo ou de transport collectif de notre lieu de travail.
  • Choisir des électroménagers moins énergivores. Les nouveaux réfrigérateurs utilisent 40 % moins d’électricité que ceux qui ont été produits il y a à peine 10 ans.
  • Prendre l’habitude de manger des fruits et des légumes de saison. Utiliser les services de compostage lorsqu’ils sont offerts – cela aide à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans les dépotoirs.

Sources : Agence internationale de l’énergie et la Fondation David Suzuki