Le ministère des Forêts persiste à refuser de dévoiler les motifs pour lesquels il s’est opposé à la création d’aires protégées dans le sud du Québec, l’automne dernier, une « omerta » déplorée par des organisations environnementales.

La Presse tente d’obtenir depuis le mois de mars un document partagé entre les différents ministères impliqués dans la création d’aires protégées, dans lequel le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) indique sa « position » sur chaque « territoire d’intérêt » pour la création d’une aire protégée.

« Ces documents ne sont pas accessibles en vertu des articles 14, 38 et 39 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels », a indiqué le MFFP dans sa réponse transmise à La Presse, jeudi.

Pourtant, ce même document a été transmis à La Presse par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC), à la mi-mai, mais les commentaires du MFFP y étaient caviardés, parce qu’ils émanaient d’un autre ministère.

C’est pourquoi La Presse tente d’obtenir le même document de la part du MFFP, qui s’y est opposé par trois fois.

Les articles de la Loi sur l’accès invoqués par le MFFP stipulent notamment qu’« un organisme public peut refuser de communiquer une analyse produite […] dans le cadre d’un processus décisionnel en cours », et, ce, jusqu’à ce qu’une décision soit prise ou jusqu’à cinq ans après l’analyse en l’absence de décision.

« Omerta »

« L’omerta du ministère des Forêts a assez duré », s’est indignée la directrice générale de Nature Québec, Alice-Anne Simard.

« Le ministère des Forêts ne se contente pas de bloquer la création d’aires protégées, il bloque aussi l’information pour que le public ne puisse pas connaître l’étendue de son entrave délibérée », a-t-elle déclaré à La Presse.

L’organisme réclame la tenue d’une enquête de la vérificatrice générale du Québec « pour faire la lumière sur l’emprise que l’industrie forestière a sur le ministre des Forêts et ses hauts fonctionnaires ».

Le Parti québécois avait aussi réclamé une telle enquête, la semaine dernière, après les révélations de La Presse sur l’obstruction du MFFP à la création d’aires protégées.

Le MFFP doit expliquer publiquement pourquoi il s’oppose à la protection de territoires « identifiés par les acteurs du milieu » et qui aurait permis de mieux protéger le territoire sud du Québec, a renchéri le directeur général de la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec), Alain Branchaud.

[Le MFFP] doit aussi nous expliquer l’impact de ses décisions sur la protection des espèces menacées et vulnérables dont il a la responsabilité.

Alain Branchaud, SNAP Québec

Préserver le bois pour l’industrie

Québec a annoncé en décembre la désignation « réserves de territoire aux fins d’aire protégée » lui permettant d’atteindre sur papier sa cible de protection de 17 % du territoire avant la fin de 2020 – ces territoires ne seront officiellement des aires protégées qu’au terme du processus qui s’enclenche par leur « réserve ».

Or, les nouveaux territoires annoncés se trouvent au nord du 49parallèle, au-delà de la limite des forêts attribuables pour leur exploitation par l’industrie forestière.

Les échanges de courriels et les documents dévoilés la semaine dernière par La Presse démontraient l’obstruction des hauts fonctionnaires du ministère des Forêts à la création d’aires protégées au sud du 49parallèle, désireux de préserver la « possibilité forestière », soit le volume de bois que peut récolter l’industrie.

Les motifs de refus pour chacun des territoires d’intérêt y étaient toutefois caviardés.

Le cabinet du ministre des Forêts Pierre Dufour a déclaré n’avoir « rien à ajouter » à sa déclaration de la semaine dernière dans laquelle il affirmait qu’« il est tout à fait normal d’assister à l’interne, entre les ministères, à des débats et des discussions sur des enjeux aussi importants ».

Avec William Leclerc, La Presse