Après huit de retard, Ottawa devrait adopter officiellement avant la fin du printemps un arrêté ministériel qui protégera légalement l’habitat essentiel du chevalier cuivré, une espèce de poisson menacée de disparition qu’on ne retrouve qu’au Québec.

Le gouvernement fédéral avait annoncé le 19 février dernier un projet d’arrêté ministériel et une période de consultation de 30 jours pour recueillir les « observations du public ».

Pêches et Océans Canada a confirmé à La Presse qu’aucun commentaire n’avait été reçu et que « la publication dans la partie II de la Gazette du Canada de la version définitive de l’arrêté visant l’habitat essentiel est prévue au printemps 2021 ».

Le sort de l’espèce inquiète d’ailleurs des biologistes qui viennent de transmettre au gouvernement fédéral un rapport commandé par la Société pour la nature et les parcs (SNAP).

En janvier dernier, le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) et la SNAP ont lancé un recours juridique en Cour fédérale afin de forcer la ministre des Pêches, Bernadette Jordan, à protéger légalement l’habitat essentiel du chevalier cuivré.

En vertu de la Loi sur les espèces en péril, Ottawa avait jusqu’au 17 décembre 2012 pour protéger officiellement l’espèce, soit 180 jours après avoir adopté un plan de rétablissement du chevalier cuivré.

Peu d’espèces inscrites au Registre des espèces en péril ont un retard aussi important que celui du chevalier cuivré.

Au fil des ans, Ottawa a promis d’agir en ce sens sans jamais donner suite à cet engagement. En 2017, l’ancien ministre des Pêches, Dominique Leblanc, avait annoncé qu’un arrêté ministériel serait adopté avant la fin de l’année sans toutefois y donner suite.

« Les dés déjà pipés ? »

Bien que le projet d’agrandissement du terminal portuaire à Contrecœur ait déjà été approuvé par le ministre fédéral de l’Environnement, le promoteur, l’Administration portuaire de Montréal (ADM) doit aussi obtenir un permis en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP).

Or, la loi ne permet que trois exceptions pour intervenir dans un habitat essentiel désigné officiellement, soit des activités « de recherches scientifiques sur la conservation des espèces menacées », une activité qui profite à l’espèce ou « une activité qui ne touche l’espèce que de façon incidente ».

Dans un courriel transmis à La Presse, Pêches et Océans Canada indique qu’« en vertu de l’article 73(2)c de la Loi sur les espèces en péril, une activité peut faire l’objet d’un permis si le ministre compétent estime qu’il s’agit d’une activité qui ne touche l’espèce que de façon incidente. Les projets de développement industriel satisfont généralement à cet alinéa de la LEP, car ils ne ciblent habituellement pas les espèces sauvages ».

Une affirmation qui fait bondir Geneviève Paul, directrice du CQDE. « Notre interprétation de la Loi sur les espèces en péril diffère manifestement de celle du MPO dans ce cas-ci. Avant de se tourner vers les exceptions prévues par la Loi, que le MPO commence par protéger juridiquement l’habitat essentiel du chevalier cuivré, comme l’exige la Loi, et alors qu’il accuse un retard de plus de huit ans pour ce faire. »

Mme Paul dit s’inquiéter particulièrement du fait que Pêches et Océans indique comment le projet pourrait se réaliser avant même d’étudier une demande de permis en ce sens. « En agissant ainsi, les commentaires du MPO minent la crédibilité et l’intégrité des processus légaux en sous-entendant que le permis sera octroyé à coup sûr. Comment alors ne pas penser que les dés sont déjà pipés ? »

Le projet d’agrandissement du port de Contrecœur, estimé à 750 millions de dollars, permettrait de créer 5000 emplois pendant sa construction et environ 1000 emplois par la suite.

Par courriel, ADM a réitéré sa « volonté de respecter l’ensemble de la réglementation applicable et de déployer les meilleures mesures de compensation pour gérer les impacts de façon responsable, des mesures qui ont été développées et continuent d’être améliorées en concertation avec les autorités et experts concernés ».