Le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) a ouvert une enquête après que des milieux humides abritant une espèce en péril eurent été drainés à Longueuil. Le propriétaire du terrain sera mis à l’amende par la Ville.

On y retrouve l’une des rares populations en expansion de la rainette faux-grillon, une espèce en voie de disparition, qui a notamment fait l’objet d’un décret d’urgence en 2016 pour protéger des habitats menacés par un projet immobilier à La Prairie.

Ironie du sort, ces milieux humides se trouvent à l’orée du boisé Du Tremblay, qui abrite également des cerfs de Virginie. Les travaux en question ont été réalisés quelques jours après la conclusion du feuilleton entourant l’abattage prévu d’une quinzaine de chevreuils au parc Michel-Chartrand.

La Presse a pu constater sur place qu’une dizaine de canaux d’irrigation avaient été creusés par de la machinerie, asséchant rapidement une partie des milieux humides du secteur. Une quinzaine d’habitats de la rainette auraient été endommagés ou détruits par les travaux, qui ont été réalisés samedi et dimanche derniers.

Le MELCC a confirmé que des « irrégularités » en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement avaient été constatées et qu’une enquête était en cours. Daniel Messier, porte-parole du Ministère, a indiqué qu’« aucune autorisation n’avait été donnée pour ces travaux et aucune demande en ce sens n’a été reçue ».

De son côté, la Ville de Longueuil va remettre un constat d’infraction au propriétaire du terrain pour des travaux de remblais et de déblais qui ont été réalisés sans permis. La Ville examine aussi d’autres recours puisque son terrain adjacent a été endommagé par les travaux, indique Carl Boisvert, porte-parole de Longueuil.

« De l’entretien de fossés agricoles »

Le propriétaire est une compagnie à numéro (9413-1547 Québec inc.). Selon le Registre des entreprises du Québec, cette société compte deux actionnaires, soit Gaétan Houle, de Saint-Bruno, et le Groupe Shathony inc. de Chambly, une entreprise qui se spécialise dans l’achat et la préparation de terrains pour les revendre à des promoteurs et constructeurs.

Joint par La Presse, Clément Côté, copropriétaire du Groupe Shathony, affirme qu’il s’agissait de simples travaux d’entretien de fossés agricoles. « Il y a eu un malentendu. Des gens croyaient qu’il y avait des milieux humides sur notre terrain. Il n’y a aucun milieu humide. Ce sont simplement des travaux de drainage sur notre terrain pour qu’il ne devienne pas un gros carré de boue. »

Sur son site internet, Shathony indique que le terrain est d’une superficie de 135 000 pieds carrés.

M. Côté affirme qu’il n’a pas pu acheter les terrains adjacents et qu’il ne peut lotir le sien, du moins à court terme.

On a décidé de le cultiver. On a l’intention de le rendre cultivable et de le louer à un agriculteur l’année prochaine.

Clément Côté, copropriétaire du Groupe Shathony

Selon Shathony, le terrain est situé en zone blanche, ce qui permettrait de l’exploiter à des fins agricoles.

Or, la Ville de Longueuil est formelle : le terrain est zoné résidentiel et « seuls les usages résidentiels sont autorisés, selon le règlement actuellement en vigueur », confirme son porte-parole.

Le secteur, situé dans l’arrondissement de Saint-Hubert, a connu un développement important dans les dernières années. Selon Carl Boisvert, la Ville a toujours des projets, mais se montre plus prudente en ce qui concerne les terrains qui longent le boisé Du Tremblay, où il y a des milieux humides et des habitats pour la rainette faux-grillon.

Sensibiliser à la rainette

C’est Tommy Montpetit, directeur de l’organisme Ciel et Terre à Longueuil, qui a constaté, dimanche en fin de journée, qu’on s’affairait dans ce secteur avec une pelle rétrocaveuse, mieux connue sous le nom de pépine.

Il a alerté la Ville de Longueuil et le ministère de l’Environnement le lendemain matin.

Lundi, il a aussi publié une vidéo sur sa page Facebook montrant l’état des lieux. « J’espère que les gens vont s’émouvoir autant pour la rainette faux-grillon qu’ils l’ont fait pour certains cervidés », déclarait-il. Sa vidéo a recueilli 31 commentaires et été partagée par 34 personnes.

Selon M. Montpetit, les canaux qui ont été creusés sont « littéralement en train d’assécher les milieux humides » du secteur. La Presse a pu constater que l’eau s’écoulait rapidement même sur le terrain de la ville. Les travaux qui ont été réalisés permettent à l’eau de se vider dans un ruisseau à proximité.

« Si les gouvernements ne s’occupent pas correctement du dossier, nous allons les obliger à le faire, comme dans le cas de La Prairie, affirme Tommy Montpetit. Longueuil est intervenu de façon diligente, aux autres de faire le reste. »

Une espèce presque décimée tout comme son habitat

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

La rainette faux-grillon de l’Ouest est une minuscule grenouille mesurant moins de 4 cm. L’espèce a perdu 90 % de son aire de répartition en Montérégie depuis les années 1960.

La rainette faux-grillon de l’Ouest est une minuscule grenouille mesurant moins de 4 cm. L’espèce a perdu 90 % de son aire de répartition en Montérégie depuis les années 1960. Lors de la période de reproduction, au printemps, la rainette faux-grillon fréquente des milieux humides temporaires ou permanents. Elle est aussi reconnue pour son chant, qui peut devenir assourdissant quand de nombreux individus se mettent de la partie. Pour les biologistes, la rainette est le canari dans la mine en ce qui concerne les milieux humides. Selon Canards illimités, 70 % des milieux humides ont aussi été détruits ou endommagés dans les zones habitées au Canada.

Les plus gros charment le plus

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Cerf au parc Michel-Chartrand, à Longueuil

Qu’est-ce que fait en sorte que le sort d’une espèce ou d’un animal préoccupe la population ? C’est principalement la taille. Des chercheurs danois ont analysé récemment près de 14 000 espèces animales dont on avait mesuré le charisme auprès du public. Sauf quelques exceptions, la plupart des espèces qui charment le plus les humains sont aussi les animaux les plus gros. « Plus l’animal est gros, plus les humains ont un sentiment de sublime », a déclaré le chercheur Emilio Berti au New Scientist le 27 novembre dernier.