Le Parlement autrichien a adopté hier un projet de loi visant à interdire totalement l’usage du glyphosate. C’est la première fois qu’un pays de l’Union européenne bannit cet herbicide, montré du doigt pour son possible potentiel cancérigène. Au Québec, il demeure le pesticide le plus utilisé en agriculture. La donne ne risque pas de changer de sitôt. Explications en cinq questions.

En 2017, les États membres de l’Union européenne ont réautorisé l’usage du glyphosate jusqu’en 2022. Pourquoi l’Autriche vient-elle de faire cavalier seul ?

L’Autriche traverse une situation politique exceptionnelle, causée par le scandale de l’« Ibiza-gate ». En mai dernier, le vice-chancelier Heinz-Christian Strache a démissionné moins de 24 heures après la publication d’une vidéo secrète tournée dans une villa espagnole. Lors d’une soirée bien arrosée, il a promis des contrats gouvernementaux à une prétendue nièce d’un oligarque russe proche du président Vladimir Poutine. Cette jeune femme blonde aux allures de mannequin proposait de prendre le contrôle d’un tabloïd afin de générer une couverture médiatique favorable à son parti d’extrême droite, le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ). Au lendemain de la diffusion, le chancelier conservateur Sebastian Kurz a demandé la tenue de nouvelles élections législatives, qui auront lieu en septembre. Cette affaire finira aussi par lui coûter son poste. Pour atteindre la majorité au Parlement, le chef d’État avait conclu une coalition avec le FPÖ.

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Le vice-chancelier autrichien Heinz-Christian Strache a démissionné en mai dernier.

Quel est le lien entre un scandale de caméra cachée et l’interdiction d’un pesticide ?

Il s’agit d’une conséquence inattendue de la chute du gouvernement Kurz, qui a chamboulé la dynamique des alliances politiques. Profitant de l’absence d’un gouvernement de coalition en cette fin de session parlementaire, le parti social-démocrate SPÖ, les écologistes, les libéraux et… le FPÖ ont réuni une majorité « de circonstance » afin de faire passer le projet de loi. Favori pour remporter l’élection, le parti conservateur ÖVP (anciennement dirigé par Sebastian Kurz) a voté contre, proposant plutôt que le désherbant soit interdit dans les usages domestiques et permis en agriculture.

Les députés ont voté en faveur de cette interdiction au nom du « principe de précaution ». « Les preuves scientifiques de l’effet cancérigène de ce poison à plantes augmentent. C’est notre responsabilité de bannir ce poison de notre environnement », a déclaré hier la chef sociale-démocrate Pamela Rendi-Wagner.

Le projet de loi doit maintenant être approuvé par la Chambre haute, ce qui devrait se faire sous peu. Soulignons que 23 % des agriculteurs autrichiens pratiquent l’agriculture biologique, un record en Europe, où la moyenne se situe à 7 %.

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Le glyphosate est vendu sous le nom commercial de Roundup par l’entreprise Monsanto.

Qu’est-ce que le glyphosate ?

C’est un herbicide à large spectre qui a fait son entrée au Canada au milieu des années 70 sous le nom commercial de Roundup par l’entreprise Monsanto. C’est aujourd’hui l’herbicide le plus vendu au Québec et dans le monde. Son utilisation a véritablement explosé à la fin des années 90, lorsque Monsanto a introduit sur le marché un produit qui a révolutionné l’agriculture à grande échelle : les semences dites « Roundup Ready ». Ces semences ont été génétiquement modifiées pour survivre au glyphosate, qui ravage toutes les autres plantes sur son passage. 

Lorsque le brevet de la molécule du glyphosate a expiré en 2000, plusieurs autres entreprises ont commencé à commercialiser des produits qui en contenaient. En 2017, Santé Canada autorisait la vente de 186 préparations différentes contenant du glyphosate, tant pour l’agriculture que pour un usage domestique. Pour l’ensemble du Québec, le groupe chimique des acides phosphoniques (qui comprend le glyphosate, mais aussi le glufosinate d’ammonium et l’éthéphon) représentait 46,8 % des ventes totales de pesticides destinés à la production agricole végétale en 2017. Lorsqu’il est question de remplacer les produits à base de glyphosate, les experts répondent souvent : par quoi ? Des solutions de rechange pourraient être plus nocives pour l’environnement.

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Manifestation contre le glyphosate à Bonn, en Allemagne, en avril dernier

Pourquoi le glyphosate est-il si controversé ?

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé a classé en 2015 le glyphosate « pur » comme un agent « probablement cancérogène pour les humains ». Le géant agrochimique Monsanto et sa société mère Bayer soutiennent plutôt que les herbicides à base de glyphosate sont utilisés en toute innocuité depuis plus de 40 ans et qu’ils sont approuvés dans plus de 160 pays. N’empêche, aux États-Unis, Monsanto est visé par un déluge de 13 400 poursuites. Depuis l’été dernier, trois jurys californiens ont condamné Monsanto et Bayer à accorder des sommes extraordinaires à des personnes souffrant d’un lymphome non hodgkinien. Au Canada, trois demandes d’autorisation d’action collective ont été déposées en l’espace de quelques semaines. Les plaignants, qui ont tous souffert d’un lymphome non hodgkinien, attribuent leur cancer à l’usage de l’herbicide Roundup.

Que dit Santé Canada, qui autorise l’usage de pesticides au pays, au sujet du glyphosate ?

Diverses études publiées dans les revues scientifiques portant sur des groupes d’agriculteurs ont observé que l’usage de produits à base de glyphosate augmentait leur risque de souffrir d’un lymphome non hodgkinien. D’autres n’ont trouvé aucun lien. Au sein de la communauté scientifique, le débat fait toujours rage.

À l’instar de toutes les agences réglementaires nationales des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Santé Canada a cependant tranché, en 2017, qu’il était « peu probable » que le glyphosate représente un risque de cancer pour les humains.

Le CIRC a mené une évaluation du danger, alors que Santé Canada a évalué le risque. Quelle est la différence ? Santé Canada prend en considération le niveau d’exposition réel des agriculteurs et des particuliers.

— Avec la collaboration de l’Agence France-Presse et de Reuters