Chaque minute, 15 tonnes de plastique se déversent dans nos océans. Pour freiner le phénomène, une entreprise québécoise s'est alliée à trois jeunes Néerlandaises pour proposer une solution inusitée : empêcher le plastique de gagner les océans... avec des bulles.

La force des bulles

Tablette électronique entre les mains, Mario Paris se tient devant un étang. Il tape du doigt sur l'écran de son appareil. Comme par magie, des bulles apparaissent à la surface de l'une des extrémités de l'étang. Elles gagnent progressivement l'autre bout du plan d'eau, formant une ligne qui divise l'étang en deux. « Un rideau de bulles, c'est ça », lance l'homme d'affaires. Nous sommes sur les terrains de Canadianpond, à Lac-Brome, et M. Paris est fondateur et chef de la direction de l'entreprise. Il s'empare ensuite d'une bouteille de plastique vide qu'il lance vers les remous. L'objet est doucement poussé par les bulles et revient vers la berge, où M. Paris peut le récolter. Cette démonstration, espère-t-il, renferme la promesse d'un système qui empêchera un jour le plastique de gagner les océans, où il cause actuellement un gigantesque problème de pollution.

Des rideaux multifonctions

Canadianpond existe depuis 15 ans. À première vue, ses produits semblent être de simples tuyaux percés de trous dans lesquels on fait circuler de l'air pour créer des bulles. Dans les faits, l'entreprise dit avoir travaillé longtemps pour trouver le bon type de plastique et le design de façon à ce que les tuyaux ne se bloquent pas, même lorsqu'ils sont immergés dans des cours d'eau remplis de vase, de vie ou de pollution. Les systèmes de Canadianpond sont utilisés tant pour oxygéner des étangs que pour déglacer des plans d'eau. Les rideaux de bulles qu'ils créent peuvent aussi atténuer les bruits causés par des travaux sous-marins afin de protéger les baleines ou de confiner des déversements de pétrole. « On découvre sans cesse de nouvelles applications », explique M. Paris, dont l'entreprise de 51 employés compte des clients un peu partout dans le monde.

Une improbable collaboration

Gestion des affaires oblige, Mario Paris suit tout ce qui circule sur l'internet concernant les rideaux de bulles. En 2016, il reçoit une alerte Google l'informant d'un projet intitulé « The Great Bubble Barrier ». Lancée par trois jeunes femmes des Pays-Bas, l'initiative vise à empêcher les déchets de plastique d'atteindre les océans grâce à des bulles générées par un tuyau percé.

« Je les ai contactées immédiatement. Je leur ai dit : ce que vous voulez faire est génial, mais vous allez vous casser la gueule avec votre tuyau percé. Tout le monde a essayé et ça ne fonctionne pas : l'eau rentre dedans et ça bloque. Cessez de travailler sur un produit et concentrez-vous sur l'application. Le produit, on l'a. On va vous le fournir et faire le design pour votre installation », raconte Mario Paris.

Une preuve de concept

L'idée de la grande barrière de bulles est de placer un rideau de bulles en diagonale dans un fleuve ou un canal, puis de laisser le courant ramener les déchets qui y circulent vers les berges. On peut alors placer des machines pour les récolter ou le faire à la main. L'avantage est que, contrairement à des fils, les bulles ne nuisent pas aux bateaux ni à la faune. En 2017, The Great Bubble Barrier a fait une preuve de concept en déployant un réseau de rideaux de bulles fournis par Canadianpond dans l'IJssel, rivière des Pays-Bas. N'existe-t-il pas un risque d'engendrer des réflexes contre-productifs du genre « pourquoi réduire ma consommation de plastique et éviter de lancer mes sacs et mes bouteilles n'importe où si des gens les attrapent pour moi de toute façon » ? « Nous ne sommes pas la solution à la pollution. Nous sommes le dernier recours », répond Mario Paris, reprenant ainsi une affirmation de The Great Bubble Barrier.

Cap vers l'Asie ?

La solution mise sur pied conjointement par Canadianpond et The Great Bubble Barrier sera-t-elle un jour implantée à grande échelle ? Mario Paris n'a pas encore la réponse à cette question. Des études ont montré qu'un quart de tout le plastique déversé dans les océans provient de dix fleuves, dont huit se trouvent en Asie. Le Yang-tseu-kiang, en Chine, charrie à lui seul 1,5 million des 8 millions de tonnes de plastique qui gagnent annuellement les océans. Qui paierait pour le déploiement des rideaux de bulles dans les fleuves ? « C'est le gros débat, admet Mario Paris. Quand les déchets sont rendus dans la rivière, ils vont à la mer et ça ne devient le problème de personne et de tout le monde à la fois. Le problème est global, mais les solutions devront être locales. Je pense qu'il va falloir que ça passe par la réglementation. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Mario Paris, fondateur de Canadianpond, à Lac-Brome

Les fleuves qui déversent le plus de plastique dans les océans

Yang-tseu-kiang (Chine)

Indus (Inde et Pakistan)

Fleuve Jaune (Chine)

Hai He (Chine)

Nil (traverse 11 pays d'Afrique, dont le Soudan et l'Égypte)

Gange (Inde et Bangladesh)

Rivière des Perles (Chine)

Amour (Russie et Chine)

Niger (traverse cinq pays africains, dont le Niger et le Nigeria)

Mékong (traverse six pays d'Asie, dont la Chine et le Viêtnam)