C'est parti. The Ocean Cleanup, un projet qui a pour but de nettoyer les océans du plastique qui y flotte, lance ses opérations aujourd'hui. Première cible : le grand continent de plastique du Pacifique, zone grande comme le Québec jonchée de débris. Avancée écologique ou mirage ? Le point sur une initiative ambitieuse, mais controversée.

Le problème

Des bouteilles, des sacs et de vieux filets de pêche qui flottent à la surface... mais aussi des débris qui coulent au fond et de petites particules qui se mélangent à l'eau. Le plastique dans les océans est un problème titanesque qui attire de plus en plus l'attention. Selon l'organisation Ocean Conservancy, les océans contiennent déjà 150 millions de tonnes de plastique - l'équivalent du poids de la moitié des adultes du globe pris ensemble. Chaque minute, 18 tonnes supplémentaires viennent s'y déverser. En 2016, une étude dévoilée dans le cadre du Forum économique mondial a estimé que si rien n'est fait pour inverser la tendance, les océans compteront plus de plastique que de poissons (en poids) d'ici 2050.

Le continent

Les courants océaniques ont grandement concentré les cinq billions de débris de plastique flottant en cinq grandes accumulations. La plus importante est le fameux grand continent de plastique, situé dans le Pacifique entre la Californie et Hawaii. On estime aujourd'hui sa taille à 1,6 million de kilomètres carrés, soit la superficie du Québec. Ces continents ne sont toutefois que la partie visible de l'iceberg. Le groupe Plastic Odyssey estime par exemple que 99 % du plastique dans les océans coule au fond ou s'y trouve sous forme de petites particules pratiquement impossibles à récupérer.

PHOTO FOURNIE PAR THE OCEAN CLEANUP

Le plastique dans les océans est un problème titanesque qui attire de plus en plus l'attention.

L'ambition

L'objectif de The Ocean Cleanup : réduire la taille du grand continent de plastique du Pacifique de moitié d'ici cinq ans. Le premier système sera lancé aujourd'hui et permettra de vérifier l'efficacité de la technologie. À terme, ce n'est pas moins de 60 systèmes semblables que le groupe veut déployer dans le grand continent de plastique du Pacifique. La suite est encore plus ambitieuse : s'attaquer aux quatre autres accumulations du globe afin de retirer 90 % du plastique des océans d'ici 2040.

La technologie

Il est facile de sous-estimer le défi que constitue le ramassage du plastique des océans. Selon The Ocean Cleanup, le faire avec des bateaux et des filets prendrait « des milliers d'années et des dizaines de milliards de dollars ». La quantité d'énergie dépensée risquerait aussi de faire grimper les émissions de gaz à effet de serre. Le système conçu par le groupe est donc largement passif. Il s'agit d'une barrière flottante de 600 mètres de longueur et de 3 mètres de profondeur qui bouge au gré des vagues, des vents et des courants pour concentrer les débris. Au bout de quelques mois, un bateau viendra enlever les déchets, qui seront ensuite recyclés.

PHOTO FOURNIE PAR THE OCEAN CLEANUP

Le plastique dans les océans est un problème titanesque qui attire de plus en plus l'attention.

L'homme

The Ocean Cleanup a été fondé en 2013 par l'inventeur néerlandais Boyan Slat alors qu'il n'avait que 18 ans. M. Slat a été désigné « jeune champion de la Terre » par l'ONU, a remporté de nombreux prix d'entrepreneuriat et a figuré sur la liste des 30 personnalités de moins de 30 ans du magazine Forbes. Son entreprise compte aujourd'hui plus de 70 employés ; en date de mai 2017, elle avait récolté un total de 31,5 millions US en dons et investissements.

Les critiques

The Ocean Cleanup ne fait pas l'unanimité. Philippe Archambault, professeur d'océanographie et de biologie marine à l'Université Laval, souligne que le système ne ramassera pas que le plastique : il risque aussi de collecter le plancton et les petits animaux qui sont à la base de la chaîne alimentaire. La Marine Conservation Society britannique considère d'ailleurs le projet comme une « menace » à la vie marine.

« Évidemment, un mur de 600 mètres de long et 3 mètres de profond sur l'ensemble du Pacifique, ce n'est rien. D'un autre côté, on veut en mettre 60, et il faudra des bateaux pour aller cueillir le plastique. Ça soulève des questions », dit le professeur Archambault.

Autre reproche : The Ocean Cleanup ne s'attaque pas à la source du problème et ne fait rien pour régler le casse-tête des microparticules. Celles-ci sont moins visibles, mais plus sournoises, car elles peuvent être ingérées par les animaux.

« On ne peut pas être contre la vertu. C'est un beau projet et chaque action est nécessaire. Mais c'est un petit volet du problème global. Et je vois un danger de dire : "Continuons comme ça, de toute façon il y a quelqu'un qui retire le plastique pour nous" », dit le professeur Archambault.

Michael Gravitz, directeur des politiques au Marine Conservation Institute, à Washington, tient des propos similaires. « [Cela dit], je trouve quand même un peu injuste de critiquer ce projet parce qu'il ne réglera pas tout en même temps », observe-t-il.

Certes, dit l'expert, The Ocean Cleanup ne captera pas les microparticules dans l'eau. Mais si la technologie fonctionne, elle empêchera les gros débris de se dégrader en plus petits morceaux qui deviendraient très difficiles à capter. « À cette échelle, je n'ai pas l'impression que l'impact sur la vie marine sera si important », a aussi dit M. Gravitz à La Presse.

Lui aussi souligne la nécessité d'agir en amont, notamment sur les cours d'eau asiatiques trop souvent utilisés comme dépotoirs et d'où provient une fraction démesurée du plastique qui gagne les océans. Sa grande réserve concerne la robustesse du système face aux vents, aux vagues et aux températures. « J'ai des doutes sur la faisabilité et l'efficacité, mais je leur souhaite bonne chance, dit M. Gravitz. Je pense que l'expérience vaut la peine d'être tentée et qu'on apprendra beaucoup en la faisant. »

Photo Remko de Waal, archives Agence France-Presse

Boyan Slat, fondateur de The Ocean Cleanup, en 2016