Elles étaient neuf, elles ne sont plus que six. Le déclin de la rainette faux-grillon, une espèce menacée, s'est accéléré à un point tel qu'il ne reste plus que six populations d'importance en Montérégie, au lieu des neuf connues il y a 10 ans. Deux coupables sont responsables de ce nouveau recul pour l'espèce : le développement immobilier... et le castor, qui squatte les derniers milieux humides dans le sud de la province.

Vendredi dernier, une centaine de personnes se sont réunies à Longueuil pour entendre la biologiste Isabelle Picard présenter les conclusions du dernier bilan des populations de rainettes faux-grillon en Montérégie. Son rapport n'a rassuré personne. Surtout pas Tommy Montpetit, chargé de projets à Ciel et terre, le centre d'information en environnement de Longueuil.

« Ça fait 10 ans qu'on dit qu'il faut protéger la rainette et ça fait 10 ans qu'on tourne en rond. Là, ce qu'on apprend, c'est catastrophique. La rainette, c'est plus qu'une petite grenouille. C'est en réalité la sentinelle de la santé environnementale. Elle témoigne aussi de la santé de nos milieux humides, qui sont de moins en moins nombreux dans le sud du Québec. La rainette a perdu 90 % de son habitat dans les 60 dernières années. Est-ce qu'on va attendre qu'il n'en reste plus un seul pour agir ? »

Selon Isabelle Picard, trois secteurs n'abritent plus de métapopulation de rainette faux-grillon. Brossard et Saint-Bruno ont connu un déclin de 90 % et 85 % depuis 2004, tandis qu'à Saint-Hubert, l'espèce a perdu 50 % de sa population en 10 ans. Il y a encore des rainettes dans ces secteurs, mais dans une proportion si faible qu'on ne peut plus les qualifier de métapopulation.

La différence entre une population et une métapopulation peut sembler affaire de sémantique, mais la nuance est importante. Une métapopulation est un ensemble de plusieurs populations de la même espèce dans un secteur donné. Dans le cas de la rainette, le rétablissement et même la survie de l'espèce sont nécessairement compromis lorsque des métapopulations disparaissent.

Moins nombreuses et de plus en plus dispersées

Parmi les six métapopulations restantes en Montérégie, Mme Picard a aussi constaté que les rainettes sont moins nombreuses, qu'elles sont plus dispersées et qu'il y a de moins en moins d'individus par étang. À La Prairie, où un important projet immobilier menace l'espèce, 50 % de son habitat a été détruit depuis 2004. Les plus récents inventaires ont été réalisés au printemps dernier, avant que les travaux de la première phase du projet du Domaine de la nature ne commencent, en juillet. Selon Isabelle Picard, la perte est probablement plus élevée que 50 %.

La biologiste s'attend par ailleurs à ce que la zone de conservation prévue par la Ville de La Prairie ne protège qu'une infime partie de l'habitat de la rainette. « Au mieux, je m'attends à ce qu'on protège 35 % des étangs, et c'est le scénario le plus optimiste, avance Mme Picard. On dirait vraiment qu'ils ont établi la zone de conservation en fonction des secteurs qu'on voulait développer et non pour protéger réellement l'espèce. Les étangs les plus importants sont tous en dehors de la zone de conservation et seront donc détruits. »

Ces conclusions rejoignent d'ailleurs celles de l'équipe provinciale de rétablissement de la rainette faux-grillon, tout comme celles du biologiste d'Environnement Canada Alain Branchaud, qui estime lui aussi que la zone de conservation ne permettra pas le rétablissement de l'espèce.

L'ancien ministre de l'Environnement Yves-François Blanchet croit pour sa part qu'on exagère la menace à l'endroit de cette espèce. « Il y a des scientifiques très sérieux, qui ne le disent pas publiquement, mais qui considèrent que la rainette faux-grillon n'est pas sérieusement menacée », a-t-il affirmé en entrevue avec La Presse il y a quelques semaines. M. Blanchet n'a pu nous donner les noms de ces experts, mais selon lui, une des opinions qui circulaient au ministère de l'Environnement alors qu'il était ministre était que la rainette n'était pas sérieusement menacée.

Une grenouille devant la cour

Ottawa a déposé il y a une dizaine de jours en cour fédérale son Mémoire des faits et du droit, en réponse à celui remis plus tôt cet automne par le Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE). L'objet du litige est le refus d'Environnement Canada de recommander un décret d'urgence pour protéger la rainette faux-grillon à La Prairie. Celle-ci est menacée par un important projet immobilier, qui a obtenu le feu vert du gouvernement du Québec.

Dans son mémoire, Ottawa reconnaît le déclin général de l'espèce et admet que « les efforts de conservation ne garantissent pas la survie de la rainette au Bois de la Commune [à La Prairie] ». Le Ministère concède même que le projet immobilier menace l'habitat essentiel de la rainette à La Prairie. Néanmoins, les avocats d'Environnement Canada réaffirment que la disparition de l'espèce dans cette ville ne menace pas la présence de l'espèce ailleurs au Québec et en Ontario.

La Presse a demandé une entrevue avec un porte-parole fédéral dans ce dossier et une autre avec le biologiste d'Environnement Canada Alain Branchaud. Les deux demandes ont été refusées par le service des relations avec les médias du Ministère.