Des experts en transports se disent déçus et surpris des propos de François Legault et d'un candidat de la Coalition avenir Québec (CAQ) selon lesquels élargir les autoroutes serait une solution aux problèmes de congestion, contrairement aux conclusions de nombreuses études.

La semaine dernière, François Legault a déclaré au journal Métro qu'il n'était « pas d'accord avec ces études » qui démontrent que davantage de routes ne règle rien à la congestion.

Un candidat de la CAQ dans la région de Québec a quant à lui laissé entendre que la construction d'un troisième lien entre la capitale et Lévis serait bonne pour l'environnement.

« Si on veut avoir un impact sur l'environnement, on doit s'assurer que les automobilistes soient le moins longtemps possible coincés dans le trafic », a dit à Radio-Canada Sylvain Lévesque, candidat de la CAQ dans Chauveau.

La Presse a soumis ces extraits à des experts en transports. Tous ont noté qu'ils contredisent les nombreuses études publiées sur la question.

« 2 + 2 = 4 »

Une professeure de Polytechnique Montréal a même tenu à écrire à la CAQ la semaine dernière quand elle a lu la déclaration de François Legault sur les études.

« Ce n'est en fait pas une question d'opinion, être d'accord ou pas... On peut bien ne pas être d'accord avec le fait que 2 + 2 = 4, mais c'est malgré tout la bonne réponse », a écrit au parti Catherine Morency, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la mobilité des personnes.

« Les études le montrent : augmenter la capacité routière va inéluctablement se traduire par une augmentation de la congestion », poursuit la professeure dans son message qu'elle nous a retranscrit. 

« Alors la CAQ peut bien promettre d'élargir une autoroute, mais svp, qu'elle ne suggère pas que cela va régler les problèmes de congestion ! ! ! Tous les étudiants de mon cours le comprennent chaque année... » - Catherine Morency

La Coalition avenir Québec (CAQ) veut notamment élargir l'autoroute 30 au sud de Montréal, l'autoroute 50 en Outaouais, prolonger l'autoroute 13 dans les Basses-Laurentides et s'engage à construire un troisième lien à Québec sans attendre les conclusions du bureau d'étude mis en place par le gouvernement sortant.

« Si on augmente les voies, les gens se disent : "J'ai plus de place, je prends mon auto", et on se retrouve au même point. Ça, c'est prouvé dans toutes les capitales du monde, ce n'est pas une invention d'universitaires utopistes ! », lance quant à elle Florence Junca-Adenot, professeure associée au département d'études urbaines de l'UQAM.

« Il faut favoriser le développement des transports collectifs, l'usage du covoiturage et de l'autopartage, le travail à distance... C'est toute la panoplie de mesures qu'il faut, dit-elle. Mais c'est une utopie de considérer qu'on peut développer les transports collectifs et les autoroutes en même temps. On se tire dans le pied. »

EN QUOI LE QUÉBEC SERAIT-IL DIFFÉRENT ?

Marie-Hélène Vandersmissen, professeure titulaire et directrice du département de géographie de l'Université Laval, aimerait que « François Legault nous dise pourquoi le Québec serait différent de tout ce qu'on a vu en Amérique du Nord ».

« Ce serait un miracle. Je ne crois pas aux miracles. Plutôt que de construire plus d'autoroutes et d'augmenter la dispersion, pourquoi ne pas se concentrer sur la densification ? » - Marie-Hélène Vandersmissen

« Ici, on ne parle pas de tours de 50 étages. Il y a toutes sortes de possibilités, comme des maisons unifamiliales avec de plus petits terrains. Il faut se diriger vers ça plutôt que de prolonger les autoroutes, faire de l'étalement urbain et rendre les transports en commun encore plus difficiles dans ces endroits. »

La CAQ n'est bien sûr pas la seule à vouloir élargir et prolonger des autoroutes. Le Parti libéral (PLQ) et le Parti québécois (PQ) se sont aussi dits en faveur de tels projets durant la campagne, quoique la CAQ se présente souvent comme la plus pressée à les réaliser.

Les experts soulignent que ces promesses des partis viennent contredire le tout nouveau Plan de mobilité durable adopté par le gouvernement au printemps dernier. Il prévoit notamment faire du Québec « un leader nord-américain de la mobilité durable » et contient des « cibles ambitieuses pour réduire les déplacements en automobile en solo ».

« C'est comme si, avec la campagne électorale, on oublie tout ça et on ressort des propositions pour davantage de routes », note Mme Vandersmissen.

L'EXEMPLE DU TROISIÈME LIEN

Ce concept selon lequel la congestion augmente à mesure que les infrastructures routières sont développées s'appelle « demande induite », ou « trafic induit ». Il démontre bien, selon plusieurs experts en transports, que passé un certain point, l'agrandissement des routes crée un cercle vicieux et engendre plus de problèmes qu'il n'apporte de solutions.

« Québec est la ville d'Amérique du Nord ayant le plus de kilomètres d'autoroute par habitant et elle est prise dans la congestion. » - Christian Savard, directeur général de l'organisme Vivre en ville

M. Savard rappelle que Le Journal de Québec a publié en mai 2017 un article concernant 12 experts qui s'entendaient pour dire qu'un troisième lien ne réglerait rien. Plusieurs politiciens avaient minimisé ces conclusions. Aujourd'hui, tant le PLQ que la CAQ se disent en faveur du projet, mais ne s'entendent pas sur l'échéancier.

« Si les politiciens proposent des autoroutes, c'est qu'ils savent que certains électeurs, pris dans la congestion, veulent des solutions », note M. Savard.

« Alors on élargit, ça semble logique. Sauf que toute l'Amérique du Nord le fait depuis des années et ça ne marche pas. C'est une réponse populiste à un problème complexe. C'est ça qui est déplorable dans ces déclarations. Je m'excuse, mais c'est ce que démontrent les analyses. »

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LE « BULLETIN TRANSPORTS » DES ÉCOLOGISTES


Une dizaine de groupes environnementaux, dont Équiterre, ont demandé aux partis, avant le déclenchement de la campagne, d'intégrer plusieurs mesures dans leur programme. Au menu, sept mesures en « transports et aménagement ». Québec solidaire a intégré les sept mesures, le Parti québécois, trois d'entre elles et quatre en partie, le Parti libéral et la Coalition avenir Québec n'en ont intégré aucune, selon le document publié sur le site d'Équiterre.