Alors que la pénurie de main-d'oeuvre sans précédent est sur les lèvres de tous les chefs des partis politiques en cette période électorale, des organismes communautaires rappellent que plus de 120 000 bénéficiaires de l'aide sociale sans contrainte à l'emploi n'attendent qu'un meilleur soutien du gouvernement pour réintégrer le marché du travail et aider à pourvoir tous ces postes vacants.

À la suite de problèmes de consommation de marijuana et d'une psychose pour laquelle elle a été hospitalisée, Isabelle Raymond s'est retrouvée dans une grande précarité financière. Bénéficiaire de l'aide sociale depuis 2010, elle a intégré deux programmes d'aide à l'emploi au cours des dernières années et tenté de nombreuses démarches pour décrocher un travail, dans toutes sortes de domaines. « À part L'itinéraire, où je travaille comme camelot depuis trois ans, je n'ai jamais réussi à trouver une job », raconte-t-elle.

Ils sont environ 1,5 % de la population québécoise, soit 122 600 personnes, à recevoir l'aide sociale tout en étant aptes à travailler. Mais aucun d'eux n'a d'emploi. « Certains ont eu des problèmes de consommation, d'autres ont été judiciarisés, ont vécu ou vivent de la violence. Alors certains préjugés ne jouent pas en leur faveur », souligne Émile Roux, directeur général de la Société de développement social.

L'immigration est la solution la plus souvent mise de l'avant pour contrer la pénurie de main-d'oeuvre, mais « on ne parle jamais de ce 1,5 % de Québécois qui sont là, prêts à occuper des postes », remarque M. Roux.

L'ITINÉRANCE ABSENTE DE LA CAMPAGNE

Au début de l'année, on comptait près de 93 000 postes vacants au Québec, tous secteurs d'emplois confondus, selon Statistique Canada. Ce sont 260 postes non pourvus par tranche de 10 000 postes disponibles.

La Société de développement social et cinq groupes communautaires dont le fil rouge est la réinsertion professionnelle* dénoncent d'une seule voix l'absence d'un discours politique concernant la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale durant la campagne électorale. Ils signent cette semaine une lettre, qui sera notamment glissée dans 500 exemplaires du magazine L'itinéraire, appelant à ce que le futur gouvernement agisse pour que ces travailleurs potentiels puissent se frayer un chemin vers le marché de l'emploi.

Émile Roux soutient que leur message est simple : « Comment peut-on parler de pénurie de main-d'oeuvre quand, au Québec, nous avons un bassin de 122 600 personnes prêtes à travailler demain matin, si l'occasion se présente ? Le gouvernement n'a pas exploité toutes les solutions. »

Pour permettre à tous ces citoyens d'entrer sur le marché du travail, les organismes estiment que l'État devra d'abord « abolir ou réviser la loi 70 », une mesure votée récemment qui permet de réduire la prestation des demandeurs d'aide sociale qui ne participent pas à un programme de recherche d'emploi. « C'est une approche punitive et coercitive qui n'est pas cohérente avec la réalité des gens sur le terrain et renforce la précarité », témoigne M. Roux. La santé mentale de certains peut les contraindre dans leurs démarches et ils s'en trouvent punis, explique-t-il à titre d'exemple.

De plus, les prestataires ne peuvent ajouter plus de 200 $ de revenus à la somme qu'ils reçoivent de l'aide sociale. Une fois cette somme dépassée, leur prestation est réduite.

« Ces personnes qui sont en démarche pour réintégrer le marché du travail ne peuvent pas aller au-delà de leur situation économique et maximiser leurs revenus. » - Charles-Éric Lavery, chef du développement social à L'itinéraire

« Il faut toujours faire attention de ne pas dépasser les 200 $ et pour certains, c'est très stressant et limitant », témoigne Isabelle Raymond.

DES PRESTATAIRES « EMPRISONNÉS »

« On entend souvent dire que ces gens n'essayent pas, mais une fois sur l'aide sociale, il y a ces contraintes qui les emprisonnent », affirme Émile Roux. Par exemple, un prestataire à qui on offre un emploi adapté pourrait le refuser parce qu'il ne veut pas qu'on réduise son aide sociale pendant qu'il tente de s'intégrer sur le marché du travail. Si l'occasion n'aboutit pas, le risque de précarité s'avère souvent trop grand.

La création de programmes d'employabilité destinés aux bénéficiaires de l'aide sociale doit se faire en collaboration avec les organismes communautaires, affirment ces derniers.

« Il faut que le gouvernement se donne les moyens de bien faire les choses, soutient M. Roux. Il faudra des programmes d'aide pensés adéquatement, de la même façon que des programmes sont déployés pour l'intégration des nouveaux travailleurs immigrants. »

*Les organismes signataires sont L'itinéraire, la Société de développement social, Le Sac à dos, le Mouvement pour l'intégration et la rétention en emploi (MIRE), le Groupe Information Travail (GIT), la Coopération de solidarité Les Valoristes et Spectre de rue.