Protéger le droit «fondamental» de travailler en français et exiger le bilinguisme pour certains postes ne sont pas deux choses incompatibles, croit Philippe Couillard.

«Il faut que ce soit justifié. Il faut que le poste nécessite véritablement la connaissance de la deuxième langue», a expliqué le chef libéral en conférence de presse à Blainville vendredi matin.

À quelles conditions? «Par exemple, dans une entreprise où la majorité de la clientèle est hors Québec», répond-il. Il donne l'exemple d'une PME en foresterie dans sa circonscription de Roberval, dont «70% du volume d'affaires est à l'international». Les employés du service à la clientèle de cette entreprise «passent la majorité de leur temps à converser en anglais» et «c'est tout à fait normal», dit-il. Le bilinguisme n'a toutefois pas à être exigé pour les autres employés, dit-il.

De plus en plus de postes nécessitent le bilinguisme, a-t-il poursuivi. «Dans le monde réel de 2014, 2020, 2025, de plus en plus globalisé, ce que j'ai constaté dans mes visites d'entreprises partout au Québec, c'est que même dans les PME, il y a de plus en plus d'employés à qui on demande une connaissance de l'anglais, particulièrement dans l'interface avec la clientèle, qui est de plus en plus hors Québec. C'est un facteur incontournable.»

Si les unilingues francophones sont écartés d'un nombre croissant de postes, doit-on en conclure qu'ils sont discriminés, ou que le droit de travailler en français est atteint? «Ce n'est pas une discrimination, c'est un avantage qu'on donne à quelqu'un, en fait, de potentiellement accéder à des postes pour lesquels la connaissance d'une autre langue est nécessaire», a répondu M. Couillard.

Des entreprises offrent des cours d'immersion pour que leurs employés apprennent l'anglais. «Les gens sont très contents, parce que c'est un atout formidable dans la vie de connaître une autre langue», a-t-il expliqué.

Le chef libéral n'a pas encore trouvé de cas où une entreprise québécoise n'aurait pas réussi à trouver de main d'oeuvre bilingue. Mais en région, ce n'est «pas toujours facile», reconnaît-il. «Quand on est à Val-d'or, Roberval ou La Tuque, on ne trouve pas au coin de la rue un employé couramment bilingue.» Il faut alors recruter hors de la région ou offrir des cours d'anglais, dit-il.

Ne pas changer la loi

Le Parti québécois (PQ) a promis vendredi de renforcer la Charte de la langue française. La dernière tentative de réforme a avorté à cause de l'opposition des libéraux et caquistes.

M. Couillard ne veut pas changer la loi. «Il faut que chacun puisse vivre et travailler en français, c'est fondamental. On va tout faire pour que ce soit toujours le cas et que ce soit encore mieux», assure-t-il. Mais la façon la plus efficace de le faire, selon lui, c'est de miser sur les «mesures de formation, d'éducation, de valorisation, d'accompagnement et de promotion» du français. Il faut mieux parler, écrire et enseigner la langue, dit-il, en misant sur le volontarisme. 

Il ne veut pas assujettir les PME à la Loi 101, comme le propose le PQ. Ces mesures «très tatillonnes et lourdes pour les entrepreneurs» ne «feront pas beaucoup de différence», avance-t-il. Il préfère s'en remettre aux «agents dans les chambres de commerce, qui par exemple vont intervenir dans les entreprises». Il n'a pas détaillé cette proposition.

Le Conseil supérieur de la langue française (CSLF) s'est déjà dit particulièrement inquiet pour l'utilisation du français au travail. Son plus récent portrait va dans le sens de la loi proposée par le PQ. M. Couillard croit que cela nuirait aux PME, comme le soutenait l'année dernière le candidat péquiste Simon Prévost, alors président de Manufacturiers Exportateurs.

Menace à Montréal ?

Selon le chef libéral, même s'il faut demeurer «vigilant», le français n'est pas actuellement en péril à Montréal. «Les dernières études contredisent totalement le ton qu'emploie le Parti québécois, toujours dans le désir de développer une mentalité d'assiégés, de gens menacés.»

Selon les plus récentes études de l'Office québécois de la langue française, les francophones risquent d'être minoritaires sur l'île de Montréal à partir de 2031.

M. Couillard soutient que la donnée importante n'est pas la langue maternelle, mais la langue d'usage. Certes, avec l'immigration, plus de gens parlent une autre langue à la maison. Mais l'important serait, croit-il, la langue d'usage. Et pour la première fois, les allophones sont plus nombreux à faire un transfert vers le français (51%) que l'anglais (49%). Par contre, environ deux allophones sur cinq font un transfert, peu importe vers quelle langue.

LE RAPPORT DU CSLF

En 2010, 64,7% des employés des PME et 55% de ceux des grandes entreprises utilisaient «généralement» (90% du temps ou plus) le français au travail. C'est beaucoup qu'en 1989, alors que la proportion était respectivement de 74,6% et 66,7%. 

Par contre, le bilinguisme au travail augmente. Le bilinguisme «ne peut ni ne doit devenir une exigence systématique», prévient le CSLF. Cela nuirait à l'effort de faire du français la langue publique commune. Il ne permet pas aux allophones de comprendre que le français est «utile et permet d'améliorer leur sort».