Trois circonscriptions meurent, trois autres naissent. La refonte de la carte électorale risque d'insuffler une bonne dose d'incertitude dans l'actuelle campagne. Qui réussira à charmer les nouvelles venues?

Discrète, mais importante. Même si elle ne déchaîne pas les passions dans la population, la refonte de la carte électorale risque d'avoir une influence non négligeable sur les résultats des prochaines élections.

Au coeur du processus: la suppression de trois circonscriptions plutôt rurales à la population décroissante et la création de trois autres en banlieue de Montréal.

Au total, 86 circonscriptions vont voir leur tracé modifié, parfois de façon très importante; quelques-unes vont littéralement éclater. Dans Drummond-Bois-Francs et Montarville, par exemple, les sièges seraient revenus au Parti libéral du Québec (PLQ) plutôt qu'au Parti québécois (PQ) en 2008 si la nouvelle carte électorale avait été appliquée. Quelques circonscriptions ont aussi changé de nom.

Avec trois gains nets si on appliquait les résultats de 2008 à la carte électorale actuelle, c'est le PLQ qui devrait à première vue profiter le plus de ce redécoupage.

Mais il s'agit d'une transposition «très dangereuse» qui met de côté la «variable Coalition avenir Québec (CAQ)» et l'important niveau d'insatisfaction envers le gouvernement Charest, prévient le professeur Marc André Bodet, de la chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires, basée à l'Université Laval.

Circonscriptions prenables

Selon les experts consultés par La Presse, les sièges créés avec la nouvelle carte électorale ne sont pas hors de portée des trois grands partis politiques.

«Ce sont trois circonscriptions qui vont aller avec le vent. Je crois que si un parti fait bien au niveau provincial, il fera bien dans ces circonscriptions», estime le professeur Bodet. C'est particulièrement vrai dans Sanguinet, qui est une circonscription très prenable pour les trois gros partis.» François Rebello tentera d'y faire un gain pour la CAQ.

Le politologue Éric Grenier, qui a mis au point un algorithme pour analyser les sondages d'opinion et qui gère le site www.threehundredeight.com, croit aussi qu'il s'agira de champs de bataille

«Les trois partis ont l'opportunité de gagner ces nouveaux sièges», avance-t-il. Selon lui, le PQ part toutefois avec une longueur d'avance dans Repentigny et Sanguinet, alors que Sainte-Rose pencherait du côté libéral. «Mais la couronne de Montréal, c'est aussi une terre un peu plus fertile pour la CAQ», nuance-t-il.

En banlieue, les circonscriptions sont rarement gagnées d'avance, rappelle Marc André Bodet. «Il y a peu de tradition politique, au sens où les gens emménagent, déménagent, quittent la région. Il y a beaucoup de brassage qui rend difficile d'établir une tradition», explique le professeur.

Afin de compenser la perte représentée par les circonscriptions supprimées, le PQ devra en gagner deux et la CAQ, une.

Déménagements

Signe que les mouvements de la carte électorale ont des effets réels, quelques députés sortants ont la bougeotte et déplacent leurs pénates pour tenter d'améliorer leurs chances de remettre les pieds à l'Assemblée nationale cet automne. C'est notamment le cas du député péquiste Étienne-Alexis Boucher, qui passe de Johnson à Richmond, deux circonscriptions voisines, en Estrie. Ce jeu de chaise musicale permet à Yves-François Blanchet de tenter sa chance dans Johnson. Sa circonscription de Drummond-Bois-Francs, avec ses nouvelles frontières, aurait été gagnée par les troupes de Jean Charest en 2008.

De son côté, Scott McKay quitte L'Assomption, point de chute de François Legault, pour se présenter dans la nouvelle circonscription de Repentigny, moins risquée pour le péquiste. Bien qu'il en ait été le député pendant plus de 10 ans, le chef de la CAQ n'a pas voulu se représenter dans Rousseau. En 2008, l'Action démocratique du Québec y a recueilli trois fois moins de voix que dans sa nouvelle circonscription, en considérant leurs nouvelles limites.

Les libéraux ne rechignent pas non plus à employer cette stratégie. Le ministre des Ressources naturelles, Clément Gignac, quitte ainsi Marguerite-Bourgeoys pour tenter d'atterrir à l'autre bout de la 20, dans Taschereau. La refonte de la carte électorale y amincit considérablement la marge d'Agnès Maltais et place la circonscription à portée de main de M. Gignac. Clément Gignac habite dans la circonscription, indique-t-on toutefois au PLQ.

Du côté de la Coalition avenir Québec, François Rebello délaisse La Prairie pour tenter sa chance dans la nouvelle circonscription de Sanguinet. L'ex-député péquiste s'accroche ainsi à son fief de Saint-Constant.

Pour Marc André Bodet, les amateurs de déménagement électoral ne pâtiront pas de leur déplacement, parce que sauf exception, l'identité du candidat ne compte que pour environ 10% du choix final de l'électeur.

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TROIS NOUVELLES CIRCONSCRIPTIONS*

1. Sainte-Rose

La nouvelle circonscription de Sainte-Rose se situe dans l'ouest de Laval, une ville qui a très peu de bastions électoraux. La circonscription compte plus d'allophones et d'anglophones que les deux autres récemment créées. Plus de 20% de la population n'a pas le français comme langue maternelle et 13% sont nés à l'étranger.

C'est une attachée politique néo-démocrate, Geneviève April, qui tentera de s'y faire élire sous l'étendard libéral. Le Parti québécois y présente Suzanne Proulx, professionnelle dans le domaine des relations de travail, alors que la Coalition avenir Québec espère y faire élire l'ancien député adéquiste François Gaudreau.

Sainte-Rose aurait été remportée par le PLQ (avec 42,3% des voix contre 40,1% pour le PQ) en 2008 si le nouveau découpage électoral avait été en vigueur.

2. Sanguinet

La nouvelle circonscription de Sanguinet comprend les villes de Sainte-Catherine, Saint-Constant, Saint-Mathieu et Saint-Rémi, sur la Rive-Sud de Montréal. Elle est essentiellement francophone (93%) et ses électeurs habitent en majorité des maisons unifamiliales. Le revenu moyen par ménage était supérieur à la moyenne provinciale, en 2006.

La tâche du député caquiste François Rebello ne sera pas facile dans Sanguinet. Il devra affronter le professeur Alain Therrien, candidat péquiste, ainsi que la mairesse de Sainte-Catherine, Jocelyne Bates.

Sanguinet aurait été remportée par le PQ (47,9% des voix contre 29,6% pour le PLQ) en 2008 si le nouveau découpage électoral avait été en vigueur.

3. Repentigny

La nouvelle circonscription de Repentigny, dans Lanaudière, comprend le sud-est de la ville de Repentigny, l'est de la ville de L'Assomption et une partie de L'Île-Bouchard. Elle est essentiellement formée par une partie de l'ancienne circonscription de L'Assomption. Presque 95% des électeurs y ont le français comme langue maternelle et seulement 4,4% d'entre eux sont nés à l'étranger.

C'est l'actuel député de L'Assomption, Scott McKay, qui tentera de se faire élire sous la bannière péquiste dans Repentigny. Il devra affronter le libéral Marc Thompson, ancien conseiller municipal, et la vedette caquiste Chantal Longpré, ex-présidente de la Fédération québécoise des directions d'établissement d'enseignement (FQDE).

Repentigny aurait été remportée par le PQ (42,7% des voix contre 32,1% pour le PLQ) en 2008 si le nouveau découpage électoral avait été en vigueur.

TROIS CIRCONSCRIPTIONS QUI DISPARAISSENT

1. Matane

2. Kamouraska-Témiscouata

3. Lotbinière

44 CHAMPS DE BATAILLE

La bataille électorale devrait se jouer dans 44 circonscriptions qui ne constituent pas des bastions partisans, selon une nouvelle étude de la chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires, basée sur la nouvelle carte électorale.

Marc André Bodet, professeur à l'Université Laval, a calculé quels endroits du Québec offrent une «base d'appui solide et systématique» à un parti en particulier et lesquels peuvent «aller avec le vent».

Les résultats sont instructifs: les libéraux devraient encaisser presque automatiquement l'appui de 44 circonscriptions, alors que les péquistes doivent se contenter de 30 bastions. La Coalition avenir Québec en détiendrait sept, la plupart dans la grande région de Québec et en Beauce (un potentiel «effet Duchesneau» n'a toutefois pas été pris en compte dans ces chiffres).

«La grande force de notre mesure est de nous donner une idée des forces en présence en début de campagne», indique M. Bodet, qui a conçu un modèle scientifique pour établir sa liste. «On remarque que 44 circonscriptions sur 125 sont réellement compétitives. Ce sont les champs de bataille de la campagne.»

On retrouve beaucoup de celles-ci sur la Rive-Sud et la couronne nord de Montréal, des endroits où les électeurs font peu de cas de la fidélité politique et se fient au déroulement de la campagne pour arrêter leur choix, selon M. Bodet.

* Données de 2006, dernières disponibles