Les organisateurs politiques ont un plaisir secret. Tous le même, tous partis confondus.

Ils regardent les bulletins d'information en fin de journée. Voir le patron répéter fidèlement les répliques qu'on lui avait préparées les comble d'aise. Les stratèges libéraux étaient au nirvana depuis le début de la campagne. Le message passait cinq sur cinq, chaque jour. Tout était réglé comme du papier à musique.

Cela a changé jeudi; c'était pire hier. Jean Charest s'est retrouvé au coeur d'une tourmente qu'il n'avait pas prévue. Révélée par La Presse, l'absence du président de la Caisse de dépôt et placement, Richard Guay, frappé par le surmenage au beau milieu de la tempête boursière, a fait toutes les manchettes. Pauline Marois et Mario Dumont rivalisaient dans la surenchère: c'était clair, un drame se préparait à la Caisse.

 

Du côté de la campagne libérale, on serrait les dents en attendant que cela passe... Une nouvelle chasse l'autre, il suffit d'attendre. Habituellement.

Jeudi, la Caisse publie un autre communiqué. Au moment précis où la machine à rumeurs s'emballe et où les spéculations se multiplient quant à la solidité financière de la Caisse, les gourous de la haute finance jugent que l'heure est venue d'annoncer la suppression de 10 postes. Pire, on pense l'expliquer en disant qu'il s'agit simplement de passer d'une gestion active à une gestion indicielle! Du chinois pour monsieur Tout-le-Monde.

Moment mal choisi

Dans le grand public, depuis des semaines, il y avait cette impression tenace mais diffuse: ça allait bien mal à la Caisse de dépôt. Rien de bon à prévoir pour le bas de laine des Québécois - 150 milliards placés sur des marchés qui piquent du nez. Avec la «mise au repos» de Richard Guay, la tension monte d'un cran. Cela va tellement mal que même le patron est en burn-out!

La suppression de ces 10 postes a fait déborder le vase: on est même forcé de congédier des gens. La nouvelle ne pouvait plus mal tomber. C'était surtout une annonce dont les dirigeants de la Caisse avaient une total maîtrise: «On ne pensait pas que cela prendrait une telle ampleur», a dit hier Pierre Brunet, président du conseil d'administration de la Caisse, contrit.

Quelqu'un avait convaincu le vénérable président du conseil qu'il serait bon de quitter bien vite, hier midi, sa Floride radieuse. Qu'il serait plus sage qu'il vienne donner un point de presse, en cette fin de vendredi frisquet, à Montréal.

Monique Jérôme-Forget n'entendait pas à rire: il était urgent que la Caisse calme le jeu. M. Brunet a indiqué hier qu'il avait parlé «plusieurs fois» avec la ministre au cours des dernières heures. «C'est tout à fait normal. On s'est parlé. On s'est demandé: est-ce qu'il est temps de faire quelque chose?» a dit M. Brunet.

Pour la petite histoire, voici ce que pense un organisateur libéral de longue date de l'annonce de l'abolition des 10 postes faite jeudi par la Caisse de dépôt. On taira son nom pour des raisons évidentes.

«Tabar... Nous annoncer ça en pleine campagne électorale. Je ne sais pas qui est l'imbécile qui a pensé nous tirer ça dans les jambes. C'est pas vrai que ça ne pouvait pas attendre deux semaines! Tu te demandes si quelqu'un a fait exprès. Ça ne se peut pas!»

La Caisse, navire amiral des sociétés publiques, a l'allure du Titanic. Mais pas question de dévoiler les rendements avant février prochain. Les élections seront passées depuis longtemps. Même chose pour le «retour» de M. Guay: le 10 décembre, les élections seront terminées et on pourra bien changer de capitaine si nécessaire.

Le gouvernement refuse de demander à la Caisse de divulguer ses résultats. En 2003, alors qu'il était dans l'opposition, Jean Charest avait crié au scandale et exigé pleine transparence de cette même Caisse, qui avait perdu 30 millions dans Montréal Mode. On parle cette année de 30 milliards.

À deux ou trois jours du débat des chefs, la campagne libérale vient de traverser sa première tempête. Dans leurs prochains caucus, les stratèges libéraux martèleront qu'il faut «garder le cap», quoi qu'il advienne. On craint que le format du débat ne place Jean Charest au milieu des tirs croisés de Pauline Marois et Mario Dumont. On se souvient surtout que Mme Marois s'était assez bien sortie des débats dans la course à la direction du Parti québécois, en 2005.

Pauline Marois «exténuée, au bout du rouleau», Mario Dumont en guerre contre Guy A. Lepage... Les campagnes péquiste et adéquiste ont eu plus que leur part de déboires, cette semaine. Les sondages sont unanimes: Jean Charest caracole loin en avance, et il est probablement trop tard pour le rattraper.

Mais en cette veille de retraite fermée des chefs, qui s'isoleront pour préparer leur duel télévisé, la certitude confiante des libéraux a vécu.