Gilles Duceppe est entré à minuit trente au cabaret La Tulipe où ses militants l'ont accueilli avec des applaudissements nourris. Il attendait dans son autocar la fin du discours de Justin Trudeau. Il avait les traits tirés d'un homme qui vient de subir une deuxième défaite.

«On a mené une belle campagne, a-t-il dit aux militants qui buvaient ses paroles. On nous croyait presque disparus, mais on est plus présents. (...) Il vaut mieux être un pays dans le monde qu'une province au Canada.» 

«Nous avons affiché fièrement nos convictions, a-t-il ajouté. Le Québec est notre seul pays. C'est ce que mon père me disait il y a 25 ans. Je suis revenu pour vous les jeunes. Vous êtes beau à voir aller et je compte sur vous pour la suite.»   

Un discours bref de sept minutes où il n'a pas parlé de son avenir. Pour l'instant, il reste le chef du Bloc québécois. 

Une attente interminable

La foule de militants n'en pouvaient plus d'attendre. À minuit, il n'y avait que 109 boîtes sur 230 de dépouillées dans Laurier-Sainte-Marie, la circonscription du chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe. 

Un peu après minuit, Radio-Canada a annoncé la défaite de Duceppe, mais les militants rassemblés au cabaret La Tulipe, le quartier général du Bloc situé dans Laurier-Sainte-Marie, l'ignoraient. Ils écoutaient le discours de Stephen Harper sans se douter que leur chef venait de subir une deuxième défaite crève-coeur. 

La foule rugissait dès que des résultats montraient une légère avance de Duceppe. Mais l'euphorie a été de courte durée. À 22h57, quand Patrice Roy, de Radio-Canada, a annoncé que Duceppe se classait troisième, la foule s'est réfugiée dans un silence consterné. À 23h07, le portrait changeait de nouveau : Duceppe était deuxième. À minuit, la néo-démocrate Hélène Laverdière devançait Duceppe par plus de 1200 voix. Un yoyo épuisant pour les militants.

En 2011, Hélène Laverdière avait battu Duceppe, qui représentait la circonscription depuis 20 ans. Une défaite dure, amère. Le Bloc était passé de 49 députés à 4.

Environ 200 militants surveillaient les résultats sur un grand écran. Même si la victoire du premier élu bloquiste, Louis Plamondon, dans Bécancour-Nicolet-Saurel, a été accueillie par des cris de joie, l'atmosphère restait inquiète. À minuit et quart, le Bloc avait huit élus et deux candidats en avance, pour un total possible de dix, plus du double de 2011. Mais le sort du chef préoccupait les militants. Les résultats dans Laurier-Sainte-Marie sortaient au compte-gouttes.

Quand TVA a annoncé que le prochain gouvernement serait libéral majoritaire, la foule n'a pas réagi. Par contre, l'annonce de la victoire de la candidate de Manicouagan, Marilène Gill, a été accueillie par des cris de joie. Même exubérance quand Mario Beaulieu, l'ex-chef du Bloc, a devancé son adversaire dans La Pointe-de-l'Île.

Un deuxième élu, Gabriel Ste-Marie, dans Joliette, a eu un effet boeuf sur le moral des troupes. Suivi de l'élection de Monique Pauzé dans Repentigny, de Michel Boudrias dans Terrebonne, Luc Thériault dans Montcalm, Simon Marcil dans Mirabel, Mario Beaulieu qui a finalement gagné... 

Martine Ouellet, ex-candidate à la direction du Parti québécois, avait rejoint les militants au cabaret La Tulipe. Elle espérait que le Bloc atteindrait le chiffre magique de 12 députés qui lui permettrait d'obtenir le statut de parti officiel avec un budget de recherche et un droit de parole à la Chambre des communes. Même avec dix élus, le Bloc n'obiendra pas ce statut. Pas de statut et un chef battu. Une  victoire amère. 

Une soirée sous haute surveillance

La soirée s'est déroulée sous bonne surveillance policière.

À 18h, trois voitures de police étaient garées devant le cabaret La Tulipe. Une pluie fine tombait sur la ville.

«Vous êtes ici pour M. Duceppe?

- Oui, répond un policier.

- Vous êtes combien?

- On est l'équipe d'intervention. Le reste, je ne le sais pas. On fait ce qu'on nous dit de faire.»

Le 4 septembre 2012, Pauline Marois avait dû interrompre son discours, car un homme armé avait essayé d'entrer au Metropolis, où la chef du Parti québécois fêtait sa victoire. Le syndrome Marois n'est pas loin.

19h: c'est le calme plat. Le cabaret ouvre ses portes aux militants à 20h30. Pour l'instant, il n'y a que des journalistes et des travailleurs du Bloc qui ont peur que la salle soit trop petite. Elle peut accueillir 325 personnes. L'équipe du Bloc croit que le parti raflera plusieurs circonscriptions et que de nombreux militants seront refoulés à la porte. À minuit, personne n'attend et la salle est pleine aux trois quarts.

20h30: une quarantaine de militants font la file à l'extérieur. Ils attendent l'ouverture des portes dans le froid. Philippe Saint-Onge, 35 ans, porte une casquette arborant une fleur de lys et un long drapeau du Québec couvre ses épaules.

« Je suis dans Verchères-Les Patriotes.

- C'est qui, le candidat du Bloc?

- Heu, Xavier, heu... quelque chose, je m'en souviens plus. C'est un nouveau.»

Louis Plamondon, un des quatre survivants du Bloc en 2011, est interviewé à TVA. «Si M. Duceppe perd, lui demande le journaliste, seriez-vous prêt à devenir chef?»

«M. Duceppe va gagner!», répond M. Plamondon.

Les militants applaudissent. C'est la première fois qu'ils réagissent. L'atmosphère se réchauffe tout doucement. Le fond de l'air est optimiste. Un optimisme prudent.