Les stratèges du Parti libéral avaient prévu que le Bloc québécois pourrait perdre des appuis au cours de cette campagne et que le Parti conservateur serait incapable de combler le vide, ont confié plusieurs sources à La Presse.

«Nous n'avions pas prévu que le vote s'écroulerait autant que ce qu'on voit dans les sondages», a toutefois confié l'une de ces sources.

«Mais ce que les études et les focus groups que nous avons menés avant de déclencher les élections nous montraient, c'est que le vote du Bloc était mou, que ses appuis commençaient à être moins solides», a-t-elle ajouté.

«On sentait que les électeurs bloquistes étaient prêts pour un changement. Quand on leur montrait des propositions comme les mesures pour les familles, par exemple, ils étaient très réceptifs.»

Le Parti libéral a donc mené la campagne qu'on connaît, martelant les problèmes associés au gouvernement Harper, le besoin d'un changement au Canada et se présentant comme le meilleur choix de gouvernement, avec des promesses comme le passeport canadien d'apprentissage.

À deux jours du vote et à la lumière des résultats des sondages, il semble que les stratèges libéraux avaient vu juste. Mais ce qu'ils n'avaient pas prévu, apparemment, est le facteur NPD. Avec désormais plus de 40% d'appuis dans la province francophone, presque deux fois plus que le Bloc québécois, les troupes de Jack Layton semblent sur le point d'y faire une percée historique.  

Pour mieux tirer profit des bouleversements politiques qui semblent sur le point de se produire, le Parti libéral aurait-il dû prévoir davantage pour le Québec ou un message différent du reste du Canada? Après tout, le Parti conservateur avait une tournée de candidats et de ministres spécialement pour la province et Jack Layton a présenté ses «conditions gagnantes» pour favoriser un retour éventuel du Québec dans le giron constitutionnel canadien.

«On a eu des débats sur la stratégie, a convenu un stratège. Il y avait un consensus très clair que les Québécois en avaient assez de Harper et qu'il y avait une fatigue latente envers le Bloc. Mais on ne voulait pas faire miroiter de fausses promesses à la Layton. On s'est présenté comme une alternative de gouvernement, mais pas comme un parti d'opposition qui peut promettre la lune sans avoir à en assumer les conséquences.»

Questionné à ce sujet lors d'une entrevue éditoriale à La Presse, jeudi, Michael Ignatieff s'est montré réticent face à une telle entreprise de séduction des Québécois. «J'ai voulu faire appel aux Québécois comme à des Canadiens, a-t-il dit. J'ai refusé de dire: voilà quelques bijoux. Voilà quelques cadeaux. Je n'aime pas ça. À mon avis, ça manque de respect pour les Québécois et les Canadiens.»

«Ce que j'ai vu, ce que j'ai constaté à Trois-Rivière, ce que j'ai constaté en Gaspésie, c'était le fort désir d'avoir un partenaire fédéral fort sur les choses assez humbles, assez ordinaires. Des digues contre les montées d'eau. De l'aide en infrastructure. Du bon travail ensemble!»

Il s'est défendu d'avoir manqué de porte-parole francophones pour relayer le message de son parti de manière constante et efficace, disant entre autres que Denis Coderre s'était promené partout au Québec au cours des dernières semaines.

Enfin, il a blâmé Jack Layton pour s'être aventuré sur le terrain glissant du débat constitutionnel. «Je crois que M. Layton est tombé dans un piège avec son discours constitutionnel. Parce que ce n'est pas clair. Ce n'est pas clair du tout. Et ça donne l'effroi au reste du Canada. Ils disent: qu'est-ce qu'il dit, ce mec-là. Et je crois que j'ai été beaucoup plus cohérent sur cette question», a insisté Michael Ignatieff.

Alors qu'il mène son sprint final en Ontario jusqu'à lundi, son parti vient d'ailleurs de diffuser de nouvelles publicités, où il dénonce fortement cette position de M. Layton. Il promet «de rouvrir le débat constitutionnel. Ça a été qualifié d'irresponsable et de téméraire dans le Globe and Mail», peut-on entendre.