Au cours du prochain mois, notre journaliste Gabriel Béland va traverser le pays en train. D'Halifax à Vancouver, il va s'arrêter là où les caravanes électorales s'attardent peu. Aujourd'hui, il visite la circonscription d'Halifax, en Nouvelle-Écosse.

Il fait un froid de canard à Halifax. Dans la rue Fuller, où traîne un soleil paresseux de fin d'après-midi, une femme passe de porte en porte.

Avec son jeans, son foulard coloré et son veston de velours, elle pourrait facilement avoir l'air de travailler pour Greenpeace, de distribuer des dépliants sur les baleines et la forêt boréale. Sauf que sur des pancartes plantées devant les maisons, il y a son nom en caractères gras: Megan Leslie.

«Bonjour, je suis Megan, votre députée sortante», dit-elle à une jeune femme qui s'est risquée à lui ouvrir la porte. «Ouais, je vous reconnais, s'exclame l'étudiante, tout sourire. Je peux vous donner une minute, pas plus, j'ai des cupcakes au four.»

Megan Leslie, 37 ans, se met alors à détailler la plateforme du NPD. Trente secondes plus tard, trois autres jeunes sont sur le perron. Des colocs descendus rencontrer «Megan», étoile montante du parti de Jack Layton. Tant pis, les cupcakes attendront.

La conversation s'éternise. Elle leur parle avec passion de la nécessité d'investir dans les énergies vertes. Lorsqu'elle gesticule et que sa manche remonte un peu, on peut apercevoir un petit tatouage sur un poignet. Un souvenir d'adolescence, dit-elle. Après quelques minutes, les quatre promettent, sans grande difficulté, de voter pour elle.

Quand Megan Leslie tourne le dos à la porte, elle esquisse un sourire et lance: «Il y a beaucoup d'électeurs néo-démocrates à Halifax. Beaucoup comme dans beaucoup, beaucoup...»

Halifax est en fait un bastion du NPD. Il s'agit de la circonscription la plus étudiante du pays, indique la députée, avec de profondes racines ouvrières. Avant l'élection de Megan Leslie en 2008, c'était l'ancienne chef néo-démocrate Alexa McDonough qui représentait la circonscription. Elle avait arraché le siège aux libéraux en 1997. Cette année-là, les troupes de Jean Chrétien avaient subi une dégelée dans les provinces atlantiques, punies pour des coupes dans le programme d'assurance emploi.

Depuis ce jour, le Parti libéral cherche à reprendre ce siège. Michael Ignatieff a même visité la circonscription dimanche. À Halifax, comme dans d'autres endroits du pays, la lutte va se faire à la gauche du Parti conservateur. Ici, les tories finissent troisièmes.

La variable inconnue

Dans la rue Fuller, les maisons sont recouvertes de bardeaux aux couleurs pastel. La peinture s'écaille et est légèrement défraîchie. La rue a quelque chose de typiquement «atlantique», bien qu'elle soit un peu trop négligée pour figurer sur une carte postale...

À une autre porte, Megan Leslie est accueillie par un jeune homme qui lui promet son vote. Il a longtemps hésité, dit-il, avant de faire son choix: «J'ai pensé un moment voter libéral, juste pour bloquer Harper.»

Aux dernières élections, la néo-démocrate, ancienne travailleuse sociale, l'a emporté avec 7000 voix d'avance. Elle estime que son bilan à Ottawa est positif - elle a même été nommée «meilleure députée recrue» par les élus de tous les partis.

Mais s'il y a une inconnue dans cette campagne, c'est bien que la perspective d'une majorité conservatrice vienne brouiller les cartes. Elle pourrait en inciter certains à «voter utile» pour bloquer Stephen Harper. Une erreur, bien sûr, selon Megan Leslie.

«Dans nos appels, on a constaté le phénomène, explique la candidate. Certaines personnes qui ont voté pour nous par le passé disent qu'elles vont voter libéral pour, selon elles, stopper Harper. Ce n'est pas un exode, mais disons que c'est une réalité.»

Le candidat libéral assure qu'il ne mise pas sur cette stratégie pour l'emporter. Stan Kutcher jure qu'il va mener une campagne sur ses propres accomplissements - il est notamment un médecin réputé et a travaillé à l'étranger pour plusieurs organismes de santé publique - plutôt que de critiquer le bilan de la députée sortante.

«Par contre, je ne peux pas cacher que chez les gens, il y a beaucoup d'inquiétude quant au gouvernement Harper, dit-il. Après, si les électeurs estiment qu'un parti est plus à même de stopper les conservateurs, à eux d'en juger.»

Électrice fidèle au NPD depuis des années, Pat Campbell, elle, ne s'inquiète pas du tout de l'issue du scrutin. «Ici, c'est ouvrier et étudiant, c'est néo-démocrate, lance la dame, qui habite dans une rue tellement pentue qu'elle semble plonger directement dans le havre d'Halifax. Je ne pense pas qu'ils pourront battre Megan.»

«Et vous savez quoi, j'ai 65 ans, et depuis l'époque d'Alexa (McDonough), les libéraux disent qu'un vote pour le NPD est un vote perdu, rumine-t-elle en crispant les lèvres. Il serait temps de changer de disque.»